Dieu est un DJ

Jean-Claude Côté
Insanë, théâtre en simultané,Montréal, Société des arts technologiques [SAT], Biennale internationale d’art numérique (BIAN) et Genève, Théâtre de l’Usine, Mapping Festival
les 11, 12, 18 et 19 mai 2012
Insanë Dieu est un DJ, Société des arts technologiques [SAT], Montréal, 2012.
Photo : Sébastien Roy, permission de la Société des arts technologiques [SAT], Montréal
Dieu est un DJ met en scène un couple qui communique uniquement par webcam. Dans le texte de l’auteur allemand Falk Richter, ils sont dans le même espace ; ici, les metteurs en scène Vincent de Repentigny et Julien Brun ont choisi de travailler sur deux scènes distinctes : le personnage de l’homme (Étienne Blanchette) est à Montréal, celui de la femme (Pascale Güdel), à Genève. Pour ce faire, ils utilisent une technologie sophistiquée de téléprésence afin que le dialogue soit fluide et que la musique ou les autres éléments sonores produits live d’un côté de l’Atlantique soient diffusés en simultané sur l’autre scène. Cette technologie sert habilement le propos de l’auteur en créant une hiérarchie des réalités. La présence écranique de l’acteur virtuel devient plus forte, presque plus réelle que celle de l’acteur en chair et en os sur scène.

LUI est concepteur sonore et DJ, ELLE réalise des films. Ce n’est pas un hasard s’ils se sont rencontrés dans un colloque sur « l’excessive subjectivité » ou « la fin des fictions et la nouvelle vérité radicale » : le questionnement identitaire prend ici des proportions obsessives. Les protagonistes font l’objet d’une expérience artistique, leur vie est diffusée sur le Web dans le monde entier, elle « devient pour eux une performance permanente ».

Dans cette pièce, Richter utilise l’écriture dramatique comme un entomologiste – mieux, un éthologue. L’impression d’observer des insectes en laboratoire est amplifiée par le décor aseptisé, strictement fonctionnel, et comme souvent, il tente d’observer les conséquences du néocapitalisme sur les comportements individuels jusque dans nos relations intimes. Le plus troublant dans cette relation amoureuse qui ne passe que par la caméra, c’est qu’elle semble aller de soi. Le virtuel devient plus vrai que le réel. Quand LUI embrasse l’image d’ELLE projetée sur le mur, elle dit : « Ça, c’est authentique » !

Dieu est un DJ pose subtilement la question suivante : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour nous distinguer, dans une société où on a tendance à tout uniformiser ? Plus précisément : quand l’art et la vie se confondent, quelles sont les limites entre l’acceptable et l’inacceptable sur le plan moral ? Le sexe et la violence sont banalisés, ici : ELLE raconte ce film où elle se travestit en homme, se mutile, demande aux passants de lui cracher au visage et de la violer. Malgré tout, au-delà de la solitude cybernétique, le désir de rapprochement et de contacts humains authentiques ressort encore plus que la désillusion postmoderniste.

Insanë, Jean-Claude Côté
Cet article parait également dans le numéro 76 - L’idée de la peinture
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