Datascapes

Manon Tourigny
Datascapes, Sevilla et Québec, Photovision et Vu photo, 2007, 96 p.

Depuis plusieurs années, l’artiste catalan Joan Fontcuberta remet en question l’apparente réalité photographique par la création de ­simulacres. Dans la continuité de sa démarche, les séries Googlegrams et Orogenèses participent à la création d’images qui trompent le regard et qui soulignent, par leur mode de production, la prolifération ­exponentielle d’images de toutes natures dans le cyberespace. L’artiste détourne de leurs fonctions principales les technologies afin de créer des images qui flirtent avec la culture informatique. Abondamment illustré, Datascapes retrace les œuvres produites dans le cadre de la résidence de création effectuée par Joan Fontcuberta au centre photographique VU de Québec. Les textes d’André Gilbert et de José Jimènez éclairent les enjeux posés par cette pratique. 

Avec les Googlegrams, Fontcuberta a créé des photomosaïques à partir d’un logiciel employé en design graphique. L’artiste reconstitue une image véhiculée par les médias de masse à partir de millier d’autres images trouvées sur Internet avec la fonction de recherche disponible sur Google. Dans cette série, tout est à chercher dans le fragment, dans le détail qui se fond dans la composition d’ensemble. On constate que tout ce qui est donné à voir sur Internet se retrouve sur le même plan, une image sainte peut en côtoyer une de femme nue. C’est dire à quel point ce qui est ­disponible sur Internet en vient à perdre toute signification ­tellement il y a multiplication et surabondance d’informations. Il semble que nous n’avons plus le recul nécessaire pour comprendre la portée réelle des images, ­celles-ci devenant banales et rapidement consommées. Avec les Googlegrams l’artiste pose un regard critique sur ce qui est véhiculé dans les médias de masse et sur comment ceux-ci conditionnent notre regard face à ce qui se passe dans le monde. La culture qui se déploie sous nos yeux en est une du divertissement et Internet en est le porte-étendard par excellence.

Dans un autre registre, les Orogenèses de Fontcuberta détournent le logiciel de traitement d’images Terragen utilisé dans des applications scientifiques et militaires. Ce logiciel est  soumis à une analyse de ­peintures et de photographies d’artistes des 19e et 20e siècles. Ainsi, de nouvelles images de synthèse naissent des œuvres abstraites de Borduas et Riopelle qui sont transformées en paysages montagneux ; les ­photographies de Stieglitz et d’Atget deviennent de nouveaux reliefs ; de même que les peintures de Cézanne et Millet se trouvent analysées et réactualisées par cet outil informatique. Un fragment de nuage peut donner à voir un relief enneigé ; de la poussière, une chaîne de montagnes sous la brume ; des aplats de couleurs, un paysage ensoleillé. Sorte de trompe-l’œil, les Orogenèses évacuent toute référence aux œuvres d’origine pour faire croire qu’il s’agit d’une image nouvelle. L’artiste pousse les limites de la citation en questionnant nos manières de nous approprier les images du passé. 

Joan Fontcuberta exploite les outils numériques pour produire des images qui n’ont plus rien à voir avec la photographie traditionnelle. Pures constructions, les œuvres contenues dans Datascapes témoignent d’une tendance à repiquer ce qui existe déjà pour créer de nouveaux rapports à la photographie.

Manon Tourigny
Cet article parait également dans le numéro 62 - Peur II
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