Cinq visages pour Camille Brunelle 

Christian Saint-Pierre
Théâtre PÀP, Espace Go, Montréal,
Du 26 février au 23 mars 2013
Théâtre PÀP, Cinq visages pour Camille Brunelle, 2013.
Photo : Jérémie Battaglia
Avant même de terminer ses études en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre, Guillaume Corbeil avait à son actif trois livres chaudement salués par la critique : un recueil de nouvelles, un roman et une biographie du metteur en scène André Brassard. Après Le mécanicien, un spectacle décevant, et pas seulement pour des raisons dramaturgiques, présenté à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui en septembre 2012, on découvrait en février dernier un auteur de théâtre en pleine possession de ses moyens avec Nous voir nous, que Claude Poissant, metteur en scène et codirecteur artistique du Théâtre PÀP, a rebaptisé Cinq visages pour Camille Brunelle

La pièce est ce qu’il est convenu d’appeler un miroir aux alouettes. Dans ces hauts lieux du narcissisme contemporain que sont les réseaux sociaux, cinq jeunes adultes viendront bientôt sous nos yeux s’abîmer, si ce n’est physiquement, à tout le moins moralement. Auparavant, ils utiliseront les plateformes mises à leur disposition pour étaler leur bonheur incommensurable, lever le voile sur leurs riches personnalités, restituer en somme, par le truchement de leur téléphone ou de leur ordinateur, toute la complexité de leurs identités. Inévitablement, un jour où l’autre, le vernis finit par craquer. Se pourrait-il que nos héros ne soient pas aussi heureux qu’ils le laissent paraître ? Que le regard des autres ne suffise plus à donner cohérence et envergure à leurs existences ? 

Il faut voir les cinq beaux jeunes gens incarnés par Julie Carrier-Prévost, Laurence Dauphinais, Francis Ducharme, Mickaël Gouin et Ève Pressault se mirer, se contempler, s’exposer sous toutes leurs impeccables coutures. Il faut les entendre proclamer leurs goûts musicaux, littéraires, vestimentaires ou cinématographiques en des listes aussi longues que contrastées. Bienvenue dans un univers dont la devise est « J’aime, donc je suis ». Après la téléréalité, c’est dorénavant vers Facebook et ses avatars qu’il est nécessaire de se tourner pour observer la montée en flèche du phénomène d’extimité, cette désespérée et souvent indécente mise en scène de soi épinglée par le psychanalyste français Serge Tisseron.

À vrai dire, le génie de Corbeil est d’arriver à traduire le gouffre des réseaux sociaux sans jamais donner dans la condescendance. En inventant une langue et une forme qui lui sont propres, il évoque plus qu’il ne reproduit, il suggère plus qu’il ne montre, il s’assure de ne pas reconduire bêtement les motifs ou écraser son propos sous l’anecdote. Une retenue et une intelligence que la mise en scène épouse pleinement. Sous la tutelle de Claude Poissant, dans un dialogue constant avec ce lieu jonché de vêtements qui semble les garder captifs, mais aussi avec les projections photographiques qui appuient ou contredisent leurs affirmations avec une ironie délicieuse, les comédiens exécutent une impeccable parade dont le grotesque croissant frappe dans le mille. 

Christian Saint-Pierre, Guillaume Corbeil
Cet article parait également dans le numéro 78 - Danse hybride
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