Antoine Aguilar
Incerta Alba

Nathalie Desmet
Galerie Hussenot, Paris,
du 18 octobre 2012 au 5 janvier 2013
Antoine AguilarVolatile, Nuremberg, 2012.
Photo : Rebecca Fanuele, permission de Antoine Aguilar, Galerie Hussenot, Paris
Antoine Aguilar est fasciné par la lumière. Il la décompose, l’analyse, la transpose. Ce n’est cependant pas la lumière, métaphore de la raison ou du progrès qui l’intéresse, mais la lumière que Pier Paolo Pasolini a opposée à l’aube incertaine (Incerta Alba). Celui-ci constatait, en 1975, que les lucioles disparaissaient en Italie, et il faisait une analogie avec la disparition de la résistance aux formes nouvelles du fascisme. La lumière selon lui se modifia pour devenir aube incertaine.

L’installation d’Aguilar intitulée Volatile, Nuremberg (2012) revient sur l’une des premières instrumentalisations de la lumière opérée par un pouvoir totalitaire. Les congrès du Parti national socialiste à Nuremberg avaient comme objectif d’affirmer la grandeur de l’Allemagne nazie et sa force collective. En 1934, on confie la mise en scène du Parti à Albert Speer qui est confronté à un problème de taille appelant une réponse pragmatique : les administrateurs du régime étaient incapables de former correctement les rangs. Il fallait détourner l’attention de leur ventripotence ; il proposa donc à Hitler de les faire défiler de nuit. Pour détourner le regard de cette réalité, il réquisitionna tous les projecteurs antiaériens de l’Allemagne et orienta leurs faisceaux lumineux vers le ciel comme des colonnes de près de 8 km de haut. L’une des images connues de ces « cathédrales de lumière » nazies (Lichtdome), immortalisées par Leni Riefenstahl, est ici reproduite en grand format au sol. Elle est recomposée par un tapis de confettis en nuances de gris qui ne demandent qu’à être balayés.

La lumière dirigée comme une arme, Aguilar la situe aussi dans la luminosité des écrans. Il utilise le pixel, les trois couleurs, rouge, vert et bleu (RVB) comme un nouveau vocabulaire formel pour réaliser des peintures ou des dessins comme Neige RVB (2012) ou Neige Blanche (2012). Black Out (2011) est une résine prenant la forme d’un tube cathodique, totalement noire. Par cette transformation, l’écran redevient une simple surface, un objet qui a perdu sa transparence. Ce retour à l’opacité ou à l’obscurité est-il devenu nécessaire pour redonner à la lumière sa réalité première, celle de la raison et du progrès ? Elle paraît nécessaire pour affirmer avec Georges Didi-Huberman, contrairement à ce que Pasolini disait, qu’il existe une survivance des lucioles, ces petites lumières qui existent par intermittence face à la grande lumière, celle du pouvoir (Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Paris, Éditions de Minuit, 2009). Cette lumière incertaine, symbole de l’existence de l’humain et du contre-pouvoir, Aguilar la reprend à son compte, parfois littéralement, comme dans l’installation Lucioles, composée de diodes qui transmettent des textes portant sur la résistance, traduits en morse. Signal qui témoigne également de leur portée limitée.

Antoine Aguilar, Nathalie Desmet
Cet article parait également dans le numéro 77 - Indignation
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