La peur de l’image. D’hier à aujourd’hui, Nicolas Mavrikakis

Sophie Drouin
Montréal, Varia, 2015, 308 p.
Montréal, Varia, 2015, 308 p.
C’est d’un malaise face à une conception qui veut que l’image contemporaine soit «toute-puissante et manipulatrice à l’endroit d’un spectateur dit idiot», qu’est né l’ouvrage de Nicolas Mavrikakis La peur de l’image. D’hier à aujourd’hui. En effet, plus que jamais, l’image inquiète, préoccupe. Pourtant, l’idée qu’elle détiendrait un pouvoir intrinsèque lui permettant de manipuler les masses n’est pas nouvelle. D’où vient cette peur de l’image ? Existe-t-il des images qui mettent à mal leur récupération «par le pouvoir de l’État, par le système capitaliste, par le système publicitaire, par le monde des communications» ? Avec un regard critique aiguisé, non sans un soupçon d’humour, l’auteur adopte ici l’angle d’une histoire sociale de l’image pour faire le point sur une méprise qui connait un long parcours.

Mavrikakis trace les contours d’une problématique qui trouve sa source dans le rapport de force entre l’image et le texte. Parmi les enjeux soulevés, retenons que les représentations entretiennent un lien avec le pouvoir. De quelle nature est ce pouvoir, au juste ?, questionne l’auteur. En agissant à titre de «doubles mensongers du réel», texte et image provoqueraient la disparition de l’espace concret au profit d’un espace virtuel proposant des effets de réel renforcés par les nouvelles technologies. L’image, parce qu’elle serait plus proche du réel, relèverait de la tromperie et, en cela, serait plus puissante que le texte. Cette question de l’absence provoquée par les représentations, est au cœur de l’ouvrage. Baudrillard, Virilio, ces «apocalyptiques», se sont fait les chantres d’un discours alarmiste sur la perte de présence occasionnée par les représentations : «[l]e texte et surtout l’image pousseraient le citoyen à être absent […] du tissu social», selon Virilio. Plus encore, l’image amènerait l’individu vers la «déréalisation» agissant ainsi comme une drogue, une sombre vision contre laquelle s’élève l’auteur. Pour celui-ci, le problème réside essentiellement dans l’impuissance des représentations à créer un véritable dialogue entre les citoyens.

Cela dit, Mavrikakis rappelle que le consommateur d’images agit «selon des critères […] qui ne tiennent pas d’une impartialité, […] d’une vérité esthétique indiscutable, mais bel et bien d’une lecture du monde, d’un désir d’appuyer certaines valeurs qui viennent souvent du groupe auxquels ils appartiennent». Ainsi, le contexte conférerait un pouvoir à l’image et non l’inverse. Quant à la technologie, si elle facilite à la fois la création et la diffusion des images, si elle brouille les spécificités même des médiums, elle n’est pas à l’origine des nouveaux rapports texte-image ; elle est plutôt un moyen, un signe de la «transformation de la pensée».

Cette peur de l’image n’est pas que contemporaine. Depuis Platon, elle hante les discours. Il faudra attendre la Renaissance pour que l’image soit quelque peu réhabilitée puis l’époque Romantique pour la voir s’émanciper du texte et créer, peu à peu, un lien avec le tissu social. Néanmoins, c’est dans l’art de nos jours que l’image renoue le plus avec le texte et l’individu : «à l’opposé de l’art moderne qui se voulait pure expérience visuelle et sensorielle […], l’art actuel n’est rien sans les récits qui l’entourent». Du côté théorique, Christian Vanderdorpe, Edmond Couchot ou George P. Landow viennent nourrir une réflexion sur ces nouveaux liens entre le texte, l’image et les nouvelles technologies. Quant aux artistes, il faut se tourner vers la production d’Alfredo Jaar, de Thomas Hirschhorn, d’Hervé Guibert ou encore de Sophie Calle pour «comprendre les enjeux identitaires des représentations où le texte et l’image se font écho pour inventer ou recréer un tissu social».

Fouillée, documentée, illustrée, la réflexion de Mavrikakis soulève non seulement un ensemble de questions fort intéressantes à propos des systèmes de représentations, mais propose aussi des pistes de solution du côté de l’art actuel. Ainsi, comme le mentionne l’auteur en conclusion, il faut percevoir «le texte et l’image [issus des arts visuels et de la littérature] comme des outils permettant de dialoguer avec le réel, de démystifier les grands récits ou les images consacrées par les diverses instances de pouvoir ou au contraire comme des instruments pour tenter de réinventer […] des rituels, des récits et des symboles collectifs moins aliénants que ceux que la doxa propage».

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