Savoir/recevoir

Détestons les airs de rien qui sont mal sifflés. Si vous n’avez pas le souffle nécessaire aux grandes entreprises, préférez viser le minimum, la voie du dépouillement est doublement souhaitable. Offrez peu, recevez mieux.

Préparez toujours vos boissons pour qu’elles soient aussi délectables à regarder qu’à déguster, en toute simplicité.

Mettez une cerise, rouge ou verte – au marasquin –, dans chaque compartiment de votre moule à glaçons. Recouvrez d’eau et faites congeler comme d’habitude. Ce soupçon de couleur, de vert surtout, donnera à vos boissons une allure particulièrement rafraîchissante.

Cage à propos de Duchamp : « I remember once he came and sat beside me on Tenth Street and said, “let’s have a conversation” and then, of course, we didn’t have one. » (Je me souviens qu’une fois il est venu s’asseoir à mes côtés sur Tenth Street et m’a dit : « ayons une conversation » et puis, évidemment, il n’en fut rien. [Trad. libre])

(Minimalisme oblige : pas de note ni de référence en fin de texte, arrangez-vous.)

Zombie

Sous l’effet d’un exquis zombie – appuyé par une relative conscience d’exister –, l’humain accède à son plus haut privilège : celui de se perdre. Cioran ajouterait, joyeusement : « Malade d’honneur de la nature, il en corrompt la sève ; vice abstrait des instincts, il en détruit la vigueur. L’univers se flétrit à son contact, et le temps plie bagage… Il ne pouvait s’accomplir – et descendre la pente – que sur la ruine des éléments. Son œuvre achevée, il est mûr pour disparaître : sur combien de siècles encore va-t-il étendre son râle ? »

Pour toute réponse à cette interrogation, remplir la moitié d’un grand verre (un crâne bien blanchi serait également approprié) de glace pilée (les cerises broyées feront un joli effet, surtout les vertes) et ajouter ce qui suit :

Jus d’un demi-citron
Jus d’une demi-limette
Jus d’une demi-orange
1 oz de jus d’ananas
1 cuillerée à soupe de grenadine
1/2 oz de vodka
1/2 oz de rhum blanc RON CABANA (placement de produit)
1/2 oz de rhum Trinidad
1/2 oz de rhum Jamaica
1/2 oz de rhum Barbados
1/2 oz de cherry brandy

Bien agiter, ajouter 1/2 oz de cognac (facultatif). Décorer de fruits si désiré, et servir avec une paille. 

De préférence, savourer à l’apéro, cependant certains préfèrent le zombie en fin de soirée, comme digestif définitif.

Mutisme et side-car

Il existe une courte généalogie de l’art musical minimaliste occidental. L’Occident n’étant pas une entité entichée de minimalisme, ce goût pour l’économie de moyens, le silence et la beauté des formes simples est apparu tardivement, voire récemment. Satie et Cage en furent les ouvreurs, puis quelques autres suivirent, très peu. Non, Glass n’en fait pas partie : lui, il était redondant. Buvons un verre à la santé de son juste nom, proposons un side-car :

1/2 oz de cointreau
1/2 oz de cognac
1/2 oz de jus de citron

Bien agiter avec de la glace et couler dans un verre à cocktail. Servir avec une cerise, même si le glaçon en contient déjà une. Tout l’art musical de Glass tient dans les deux phrases précédentes.

Divertissement minimal épatant

Soyez une hôtesse formidable.

Mettez un rouleau de fil dans la poche de votre veston et laissez dépasser le fil de six à huit centimètres. Sans doute voudra-t-on vous enlever ce fil qui dépasse, mais quelle surprise aura-t-on quand on s’apercevra qu’il n’y a pas de fin à ce fil !

Ou encore, citez Satie : « J’aimerais jouer avec un piano qui aurait une grosse queue ! »

Recettes et conseils pratiques

Étrange, cette manie des humains de désirer n’être qu’entre eux pour papoter compulsivement. Cellulaire à la main, sans cesse à se communiquer des banalités, inquiet de ne pas recevoir de nouveaux textos, sapiens sapiens s’éloigne vertigineusement du monde qui l’a vu naître. Plus personne ne distingue une potière bleue (rutilante guêpe d’un bleu métallique) d’un gros bourdon agité ; plus personne ne s’en soucie. Nous ne faisons que nous administrer les uns les autres ; de réception en réception, nous nous encubiculons tous à n’en plus finir.

Voici cinq suggestions pour aider l’animal à ressurgir un peu, parfois, minimalement, au hasard d’un cocktail :

1. Poulet et cognac. Battre du fromage à la crème avec autant de cognac qu’il en pourra absorber. Y aller gaiement. Étendre ensuite sur de minces tranches de poulet piri-piri refroidi. Rouler, solidifier d’un cure-dent de fantaisie et servir pendant qu’il en est encore temps.

2. Causerie. Hommes et femmes aiment parler ! Profiter d’une soirée intime et de conversations animées pour inviter les nouveaux voisins immigrants, et pour servir la meilleure boisson qui se trouve dans votre cabinet à boissons. Préparer alors quelques between the sheets, sans oublier d’ajouter une cerise.

3. Morceaux de langue roulée. Battre du fromage à la crème avec un peu de jus d’oignon et du raifort râpé. Étendre sur de minces tranches de langues, rouler, faire tenir à l’aide de nombreux cure-dents et laisser refroidir au maximum avant de servir.

4. Bateaux à voile au salami. Battre du fromage à la crème avec un oignon espagnol et un poivron rouge coupés fin. Assaisonner avec sel et paprika. Couper en deux, en longueur, quelques petits cornichons sucrés et doucereux, puis les remplir du fromage à la crème battu. Insérer une tranche de salami qui donnera l’apparence d’une voile.

5. Soirée musicale. Les amateurs de bonnes musiques passeront une soirée agréable en écoutant sur un appareil haute-fidélité un programme bien organisé – Les Baxter, Morton Feldman ou Henri Mancini suffiraient –, en servant quelques cocktails exotiques : singapore sling, sloe gin fizz et sherry flip feront certainement l’affaire de tous. Pour la suite, selon les pulsions affichées par les convives, rien n’empêchera quelques passions gargantuesques, voire cannibalesques. En toutes choses, mesurer exactement, jamais d’à-peu-près.


Michel F. Côté a vécu 15 ans à Saint-Vincent-de-Paul, de 1963 à 1978, près du pénitencier. Il y a passé la moitié de son enfance, où chacun de ses jours se prolongeait en une éternité d’aventures microscopiques. Enfance au bercement des trains de nuit : musique du sommeil parfait.

Michel F Côté
Cet article parait également dans le numéro 70 - Miniature
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