Parodie d’une œuvre

Récemment, je composais un tourment musical accompagnant ­quelques fragments d’un texte de Georges Bataille, L’anus solaire, texte ­représentatif d’une préoccupation centrale chez cet auteur : l’inévitable de la transgression et du désordre « jusqu’à cet extrême où la volupté et le dégoût coïncident et s’annulent ».

Ce tourment titré Pet (se prononce comme ses homonymes paix ou paie, c’est un hasard) est une composition pour un narrateur à mégaphone et plus de dix musiciens (jusqu’à 49). Pet repose sur neuf courtes sections. Cette composition doit être dirigée par les gestes amples du narrateur. Voici quelques-uns des extraits lus par le narrateur :

« Il est clair que le monde est purement parodique, c’est-à-dire que ­chaque chose qu’on regarde, ou qu’on écoute, est la parodie d’une autre, ou encore la même chose sous une forme décevante. »

« Tout le monde a conscience que la vie est parodique et qu’il manque une interprétation. Ainsi le plomb est la parodie de l’or. L’air est la ­parodie de l’eau. Le cerveau est la parodie de l’équateur. Le coït est la parodie du crime. »

Cette pièce est la parodie d’une œuvre.

« Ou l’amour, ou la colère infantile, ou la vanité d’une douairière de province, ou la pornographie cléricale, ou le solitaire d’une cantatrice, ou l’abus morne d’un prêteur sur gages, ou le souffle époumoné d’un musicien las, ou les charges d’un solitaire égarant des personnages oubliés dans des appartements poussiéreux. Ils auront beau se chercher avidement les uns les autres : ils ne trouveront jamais que des images parodiques, et s’endormiront aussi vides que des miroirs. »

Tout tourne, tout tourne, tout pousse, tout pousse, et nous nous ­parodions tous.

Les meilleurs gagnent, c’est normal

Il n’y a que les meilleurs qui devraient avoir un droit à la reproduction (d’eux-mêmes et de leurs œuvres). Une fois pour toute, cessons l’hypocrisie qui consiste à tolérer qu’un médiocre ait droit à l’expression. Pour que la postérité se porte au mieux, n’admettons que les champions.

Cela bien dit, voici une nouvelle sympathique : afin de célébrer de bout en bout le 400e anniversaire de Québec, il y aura aussi des olympiades culturelles ! L’idée est originale et pleine de bon sens : « Des bands de garage aux sculptures sur sable, en passant par le cirque, l’improvisation ou la danse, venez encourager l’équipe de votre arrondissement dans huit disciplines culturelles opposant les talents de la Ville de Québec. Que les meilleurs gagnent ! », peut-on lire dans le touffu programme des fêtes du 400e.

Improbable résultat d’un vibrant brainstorming du comité organisationnel, ces premières olympiades culturelles laissent ­entrevoir l’avenir de l’art avec optimisme, tout en nous laissant un peu ­songeur. Mais tout de même, ça fait plaisir d’imaginer nos jeunes artistes en sportifs culturels ; ça réchauffe le cœur de les supposer en futurs ­concurrents luttant les uns contre les autres au sein de « huit disciplines culturelles ».

L’expression est particulièrement troublante.

« Huit disciplines culturelles », soit, mais il n’y en a que cinq de ­mentionnées dans la brochure ; ne pourrait-on pas imaginer les trois autres nous-mêmes ? Allez artistes, encore un effort, en voici six autres, spécifiques et idiotes. Choisissez : chorale de ténors ­­hautes‑contre sur trampoline, pantomime en zone radioactive, reproduction en ­trombones (les petites agrafes de fil de fer repliées en deux boucles, servant à ­retenir plusieurs feuillets), et à l’échelle d’un stade olympique (n’importe lequel, au choix, cependant recommandons celui de Beijing), numéro de claquettes en état d’apesanteur, aquarelle sur iguanes des Galapagos, puis, sorte de biathlon, contorsion et sculpture sur savon en milieu subaquatique.

Alliée l’une à l’autre, audace et imagination sont sans limites.

Quoi de mieux qu’un art compétitif, un art qui s’éveille enfin aux ­impératifs de la vie ?

En rapport à la symétrie

1. L’excellence se porte aussi du côté de la CIA, qui a tenté à six cent ­trente-huit reprises (638) d’assassiner Fidel Castro.Sur les 50 années du régime castriste, ce chiffre signifie, en moyenne, une ­tentative ­d’assassinat par mois (précisément, 638 divisé par 50 divisé par 12 = 1,06). L’excellence n’est pas reposante, encore moins si elle n’excelle malgré son zèle.

À l’évidence, il y a ici l’expression d’un sentiment d’animosité : Castro n’était pas, aux yeux des autorités américaines, un champion. Visiblement, ce n’était pas un interlocuteur valable. Aucune réciprocité possible : les forces en jeu étaient incomparables. Et pourtant, le vieillard résiste toujours et résolument à sa disparition. CIA : Castro’s Impossible Annihilation

Sur ce point de championnat, il n’y a qu’Arafat pour rivaliser avec Castro. Abel Rauf ARAFAT AL-QUDWA, dit Yasser, est l’autre champion du ­ressentiment américain. Lui aussi fut un miracle de survivance.

2. La réciprocité est une affaire de base, un marchandage au ­quotidien, un principe interactif spécifique à la sphère sociale. Selon Allan D. MacPherson1 1 - Anthropologue, spécialiste du comportement culturel. Lecture recommandée  : Historical Social Design & Human Interactions, Moldine Publisher, London, 2005 ; traduction : Histoire du design social et interactions humaines, Épithète, Bruxelles, 2007., grosso modo en deux mots, il y deux types d’humains : les philanthropes et les misanthropes. L’essentiel de sa thèse repose sur cette assertion : « Les uns aiment les autres, les autres détestent les autres. » Bref, autrement dit, il n’y aurait que les uns pour aimer les uns et les autres. Bizarre, non ?

3. À choisir entre consécration ou déconfiture, il est préférable d’aller vers la déroute, de tout rater sans recommencer, et d’être le dernier des derniers. Ce n’est pas un choix nihiliste – le nihilisme c’est autre chose : c’est romantique, ça veut encore – , c’est une nécessité ontologique. Il y a quelque chose d’idiot dans la volonté d’être le meilleur.

4. Dans la réciprocité, il y a ces quatre avantages : l’enthousiasme, ­l’avantage d’éviter d’être trop nous-mêmes, le pouvoir de ­contamination et la possibilité de relativiser.À l’inverse, dans la non-réciprocité il y a ceci : les plaisirs ombrageux, la nécessité solitaire de fouiller le nœud des choses, la grande joie d’être unilatéral, et la liberté sadienne de dire ou faire ce qui ne se dit ou ne se fait pas. Entre les deux, n’en doutons pas, il y a un va-et-vient usant.

5. Parlant de réciprocité, le Gouvernement canadien, par l’entremise de Patrimoine Canada, vient d’engager le Cirque du Soleil afin que celui-ci soit en ­charge de la conception et de l’animation du pavillon canadien lors de ­l’exposition universelle de Shanghai, en 2010. Cela, semble-t-il, sans appels d’offres. C’est la deuxième sympathique nouvelle de ces pages.

Ainsi, lors de cette vitrine « universelle », notre nation sera représentée par cette entreprise ambassadrice qu’est devenue le Cirque du Soleil… L’important étant certainement que le Canada soit représenté par une firme gagnante, et si possible de manière divertissante. Imaginons un pavillon chapiteau allégorique, en forme de tente amérindienne – c’est bon pour l’image contrite et consensuelle. Un lieu bourré de ­contorsionnistes chinoises, de jongleurs mexicains, d’équilibristes ­suédoises et de voltigeurs russes, tous habillés de rouge et blanc. Beaux maquillages. Imaginons un intérieur de pavillon tout en ­paillettes, duquel se dégage une impression d’unifolié gigantesque ; un lieu ­vraiment ­universel !

Qui aurait cru que cette nation deviendrait circassienne.

Le cirque va avaler le monde. L’idée est plaisante.

Mollet de l’année

La question des prix et des médailles en art en est une qui divise ­l’opinion. Chez les artistes, il y a ceux qui y voient une nécessité jubilatoire, puis il a ceux, moins nombreux, qui considèrent l’idée imbécile.

Le Québec est bien pourvu en soirées de gala et prix du meilleur. Du côté des arts de la scène, il n’y a qu’en danse où la décoration honorifique ne sévit pas encore ; mais ça viendra – la soif de champions est ­intarissable, là comme ailleurs. Si le milieu chorégraphique n’en est pas encore ­alourdi, c’est uniquement par manque de ressources pour organiser un beau gala – les danseurs sont des tout nus, des gagne-petit, des ­mendiants de l’art ; les chorégraphes eux, sont des endettés chroniques, des ­machines à trouver des solutions au pire, des récidivistes de la bourse refusée (sauf deux ou quatre). J’en connais qui seraient très heureux de se voir attribuer le Chausson d’Or ou le Mollet de l’année. Ça mousserait la vente de billets, ça impliquerait de facto quelques insignifiantes apparitions médiatiques, bref, ça serait bon pour la carrière. Car une carrière, il en faut bien une ! Et que serait une carrière sans prix ? La carrière se mesure au mérite, le mérite aux reconnaissances, la reconnaissance au taux de fréquentation médiatique.

Quand la danse se lèvera et organisera son gala, ça sentira les pieds.

Multiples intrigues

Ne pourrions-nous pas aussi imaginer un reality show avec quelques peintres dans un loft de peintres ? Pensons-y bien : la télévision en sera friande.

Titre : Toile de fond.

Identifions le cadre et supposons quelques règles.

Six peintres, hommes et femmes à part égale, doivent cohabiter en ­permanence pendant une saison (trois mois) dans un loft de 2000 mètres carrés.

L’objectif du jeu serait celui-ci, simple : être celui ou celle qui vend le plus de tableaux (un minimum de trois, aucune restriction de format), au plus haut prix possible, et sembler relativement sain d’esprit lors du gala de clôture2 2 - Évidemment, la rumeur voulant qu’un artiste peintre soit a priori quelqu’un d’étrange, cette dernière condition est largement extensible ; seule une totale inanité serait compromettante..

Les intrigues, multiples, seraient nécessairement passionnantes. Exemple : Jean-Sébastien, le barbu abstrait, a un béguin pour Natasha, la rousse pointilliste et polaroïd. Mais Thien, le minimaliste graphique, aimerait bien enculer l’ours Jean-Sébastien. Jean-Sébastien va t-il lui casser la gueule pour autant ? Pendant ce temps, Jessica, brunette aux collages expressionnistes audacieux, s’entiche secrètement de Jesse, le fauve monochrome aux toiles disproportionnées. Reste Clara, ­l’irréductible qui dessine inlassablement, et au fusain, le même ourson torturé. À la mi-temps de l’émission, Jesse déclare qu’il achètera tous les dessins de Clara. Clara s’en crisse éperdument (irréductible je vous dis). Jean-Sébastien est le premier à vendre un tableau ; celui-ci est acheté par un célèbre parolier québécois, à gros prix. À la fin du deuxième mois, Jessica fait une tentative de suicide, elle tente de s’injecter de la colle. Mais Thien, insomniaque persistant, l’en empêche in extremis. Puis, dans la dernière semaine, Natasha change d’avis sur Thien : le petit vietnamien est talentueux, il se positionnera certainement bien dans la chaîne alimentaire ; il représente un placement. Il a peut-être une légère déviance homosexuelle (rien d’incurable), mais raison de plus, il cadre bien dans le tableau professionnel qu’elle tente de se construire. Thien est rapidement piégé par la rouquine. Trois jours avant terme, Jesse détruit théâtralement toutes ses toiles, Jean-Sébastien voit le célèbre parolier récidiver à gros prix et, in extremis, Clara voit quelques-uns de ses fusains d’oursons s’envoler aux frais d’un acheteur anonyme à l’étrange patronyme : Yogi.

Qui de Clara ou de Jean-Sébastien gagnera le show ?

On en oublie les tableaux.

Ça serait cool, non ?

Vivement un art qui met la barre haute et se frotte à la cote d’écoute, un art réaliste (fuck le niaisage de galerie), un art qui reposera sur des déterminismes socio-biologiques historiques, un art visuel qui ­deviendra entièrement télévisuel, un art qui refera la nouvelle. Bref, vive ­l’avènement d’un art réciproque, payant pour tous, acteurs et spectateurs, un art qui cesse de ne penser qu’à lui, un art véritablement altruiste. Un art généreux qui en vaut la peine.


Michel F. Côté [flatf@videotron.ca], n’a jamais terminé ses études, toutes sans exception. Il prétend avoir réalisé deux baccalauréats, mais c’est faux. Il est demeuré longtemps sur les bancs d’école, pour faire plaisir à ses parents. Il n’a jamais véritablement étudié. En classe, il était queue de classe. Il a toujours trouvé le moyen de passer pour un champion, même en classe. Une question d’attitude. Devenu musicien, il a été suffisamment idiot pour accepter de faire la direction musicale de deux galas télévisés (La Soirée des Masques, 2003 et 2006). Il n’a jamais su lire une seule note de musique. Il croit sincèrement que le seul miracle possible sur cette sphère est de n’avoir aucune ambition, sinon que pour s’amuser du désastre.

Michel F Côté
Cet article parait également dans le numéro 63 - Actions réciproques
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