En avril 2001, j’ai gravi la paroi rocheuse escarpée de Tepoztlan, à 50 kilomètres de Mexico. Une petite pyramide des anciens Aztecas surplombe la vallée. Deux grands aigles tournaient au-dessus. En juillet, le vent glacial balayait le microcosme unique du sommet du Mont Albert dans les Chics Chocs de Gaspésie, mot mikma’k qui signifie « parois infranchissables ». Les grands caribous sacrés étaient au rendez-vous. Août sur le belvédère du Mont-Royal nommé Kondiaronk en l’honneur de cet artisan de la Grande Paix de Montréal en 1701. L’esprit des animaux flottait en silence sur Hochelaga.

Pour plusieurs, l’année artistique 2001 au Québec pourrait se contenir entre le 22 avril et le 11 septembre. D’une part, la tenue simultanée à Québec du Sommet des Amériques et du Sommet des Peuples a transformé la ville en zone d’art total, allant de la fête aux affrontements. Après, ce sera Gênes en Italie et Porto Allegre au Brésil. Les débats et leur médiatisation ont mis en évidence une prise de conscience élargie quant à la nécessité d’un commerce équitable. Dans les trois Amériques, de nombreuses Nations autochtones luttent pour leur dignité mais aussi pour une protection de la Terre-Mère. Il en va de la protection de plantes médicinales rares au Chiapas jusqu’à l’intégrité de la forêt amazonienne ou, à chaque minute, l’équivalent de sept terrains de football en arbres est abattu. C’est ce que le chef Rao ni est venu clamer au pays cet été. Au nord, les Cris ont trouvé en Richard Desjardins un allié artiste pour protéger la forêt boréale. Les attentats terroristes contre les États-Unis d’Amérique le 11 septembre ont non seulement annulé l’équipée des arts technologiques et des « gestes d’artistes » qui devaient avoir lieu dans la grosse pomme, ils ont ramené l’état de guerre et d’incompréhension entre civilisations sur toute la planète. Pour d’autres, c’est le déploiement des oeuvres, événements et artistes dans la Cité qui est la trame dominante de l’année d’art au Québec (p. ex.: Les Commensaux, Skol 2001-2001; Alica, 8 manœuvres en quête d’un territoire, 3e Impérial). L’année 2001 aura été aussi le printemps et l’été d’art « de tous les jardins »; ramenant localement la sensibilité écologique des rapports Art/Nature. C’est là qu’on retrouve plusieurs créations artistiques amérindiennes en 2001.

Parmi les rapports Art/Nature – une force en art québécois actuel sur tout le territoire – , les médias ont mis l’accent sur le Festival international de jardin aux jardins de Métis à l’entrée de la Gaspésie, sur les Mosaïcultures internationales au Vieux-Port de Montréal, ainsi que sur le symposium Artefacts 2001. Sculptures urbaines au Canal de Lachine.

Au Parc la Gabelle en Mauricie, la seconde édition de Cime et Racines, sans aucun doute le meilleur symposium de sculpture environnemental au Québec en 2001, accueillait l’artiste Mikma’k Mike MacDonald. La création courageuse, sous un pylône électrique fonctionnel tout près d’un barrage, d’un de ses jardins de plantes médicinales et d’attirance pour les papillons (sa passion) aura été l’une des oeuvres d’importance. En dialogue avec l’imposante sculpture de Reinhard Reitzsentein qui avait placé, l’année précédente, un grand arbre déraciné en suspension entre deux pylônes désaffectés- image qui a fait le tour du monde-, MacDonald transformait aussi le pylône en un ironique tipi, défiant symboliquement l’exploitation des énergies hydroélectriques, de la forêt et de la Terre-Mère.

Fidèle à sa position d’écologiste radical, Domingo Cisneros et son groupe Territoires Culturels ont poursuivi, en 2001, les préparatifs de régénération et de rencontres d’un territoire de mise en valeur des ressources que constituent les grands arbres et la Nature dans les Laurentides, à partir de Sainte-Émilie-de-l’Énergie.

À Mastheuiatsh, surplombant le grand lac Piekuakami (lac Saint-Jean), l’artiste Sonia Robertson et ses acolytes ont conçu Parc Sacré, un jardin communautaire créé près du musée et en face du Centre Tshitshemishk, la résidence des Aînés. Sous la forme de la Grande Tortue, ce site est un lieu convivial de rassemblement, de méditation et de discussion sur les plantes et les fleurs choisies à partir du savoir traditionnel des Aînés. La dimension environnementale du Parc Sacré propose aux artistes un prototype de transmission des savoirs traditionnels sur le bon usage des plantes, qui pourrait s’établir dans d’autres communautés. Ce genre de sculpture environnementale pourrait encore servir de base à des liens de solidarité outre frontières, par exemple, avec les groupes Totzils du Chiapas qui oeuvrent à conserver le savoir amérindien des plantes médicinales, dont les territoires sont convoités à la fois par le projet d’une autoroute, reliant Atlantique et Pacifique, et par ces compagnies pharmaceutiques multinationales qui entendent tout breveter.

À Montréal, la création du Jardin des Premières Nations au Jardin Botanique de Montréal, qui reproduit la biodiversité du monde végétal à partir des points de vue amérindien et inuit, est plus qu’important. La volonté d’animation culturelle du Pavillon s’ouvre à l’art actuel avec la création du Nid de l’Aigle d’Ondinnok au solstice du printemps 2002.

Déjà avant l’ouverture officielle en août, le Jardin Botanique accueillait la seule présence d’artistes amérindiens du Québec dans le cadre des activités de la Corporation des Fêtes de la Grande Paix de Montréal, soit la création collective des Mâts totémiques pour la paix. La réalisation des mâts était sous la supervision de l’artiste crie Virginia Pésémapéo Bordeleau. Peintre talentueuse, cette dernière a entrepris depuis quelques années une série de créations picturales et environnementales de cet ordre (symposium Vingt mille Lieues/lieux sur l’Esker, Amos, 1997; Le Printemps du Québec à Paris, 1999). Elle a recours à des perches de campements nomades qui sont aussi bâtons de prière lors des rituels. Une équipe de quatre artistes (Éliane Kistabish, Algonquine; Jacques Newashish, Attikakemkw; Christine Sioui, Wawanoloat; et Gilles Dorais, Waban Aki) a donc créé, selon le style propre à chacun, un mât par Nations signataires du Traité de 1701, incorporant crânes d’animaux en suspension, plumes, et respectant les couleurs vives traditionnelles. Placés en cercle pour accueillir en son centre l’arbre de la paix selon la tradition iroquoienne, les mâts totémiques pour la paix côtoyaient un géant d’une autre civilisation (la culture des loisirs de masse) et d’une autre logique (l’architecture du béton des villes) : le mât du stade Olympique…

Pendant ce temps, entassées dans un trop petit local au Belgo, les quelques œuvres inuites et amérindiennes intéressantes de l’exposition Transitions 2. Art Inuit et Art Amérindien contemporainn’auront pas eu justice. Je pense ici à la présentation d’un seul des panneaux composant l’installation Pelage de Mary Anne Barkhouse (Kawkwaka’wakw), créée pour l’exposition Raven’s Reprise (Musée d’anthropologie de Colombie-Britannique, Vancouver, 2000). Snare (l’appât), l’intéressant wampumtransposé en matériaux de communications binaires de Michael Belmore (Ojibwe), était présenté comme un bijou. La série de créations en papier imprimé (des pages de la Commission Royale d’enquête sur les Peuples Autochtones, 1996) de l’artiste Anishnabe Maria Hupfield – artefacts généralement considérés comme de l’artisanat- se trouvait malencontreusement coincée dans un coin.

De cette exposition controversée, retenons encore la position idéologique surprenante du commissaire Mohawk Ryan Rice, directeur du Centre indien de Hull, indiquant que le passé est le seul réservoir d’avenir pour l’art amérindien lorsqu’il écrit dans le catalogue : « […] les artistes amérindiens offrent leurs réinterprétations de la tradition pour le XXIe siècle. C’est à cette fin qu’ils représentent et mettent en scène des objets culturels, des philosophies et des lois, de façon provocante et brillante. Dans ce dessein, certains recourent aux récits du passé et d’autres contemplent les traditions qui façonnent la vie contemporaine des Indiens ».

L’art actuel comme reflet d’un passé révolu semble à plusieurs un carcan romantique et idéologique (comme s’il y avait déjà eu un âge d’or pour les Indiens). Cette perspective ne tient pas du tout compte de l’évolution historique (difficile) et des réalités présentes qui façonnent la quotidienneté. Elle nie l’imagination tournée du côté de l’invention, définissant un statut pour les artistes amérindiens, non seulement comme manipulateurs de symboles autochtones immémoriaux et porteurs de mémoires cumulatives, mais encore comme créateurs inscrits dans ce nouveau siècle, de manière universelle.

Anishnabe Maria Hupfield, Christine Sioui, Domingo Cisneros, Éliane Kistabish, Gilles Dorais, Guy Sioui Durand, Jacques Newashish, Mary Anne Barkhouse, Michael Belmore, Mike MacDonald, Pésémapéo Bordeleau, Richard Desjardins, Sonia Roberston
Cet article parait également dans le numéro 45 - Amérindie
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