
Photo : permission de David Zwirner, New York/London
Reel-Unreel de Francis Alÿs
Deux enfants courent l’un devant l’autre. Le premier pousse une bobine métallique rouge chargée d’une pellicule. Sous l’effet de la course de l’enfant et de la poussée qu’il exerce de sa main, la pellicule se dévide de son magasin circulaire pour être récupérée par un second garçon, dont la bobine bleue se charge progressivement du film qu’il rembobine tout en poursuivant sa course. Une première action − le déroulé du film de la bobine rouge − a un lien direct avec cette seconde action – le chargement et l’enroulement du film sur la bobine bleue –, dans un double mouvement de rotation inversée et simultanée. Les deux enfants afghans courent, dévalant les reliefs escarpés, les escaliers, les ruelles, les marchés et les routes encombrés : la vie de Kaboul. À la fin de cette joyeuse cavalcade haletante dont le souffle se fait de plus en plus entendre, les évènements s’accélèrent. La pellicule se rompt, brulée par un feu qui se trouve sur son passage. La bobine rouge fait une sortie de route ; projetée à grande vitesse sur les talus escarpés, elle est précipitée, de bonds en rebonds, dans les contrebas de la colline, où elle finit par disparaitre. La bobine bleue ne rembobine plus, ne roule plus sur le sol : l’enfant la tient dans ses mains et, à la hauteur de ses yeux, la fait tourner à vide quelques instants. Dominant Kaboul, le jeune Afghan esquisse un sourire. C’est sur cette scène qu’Alÿs interrompt le déroulement de l’histoire pour faire défiler quelques phrases sur le fond noir d’un arrière-plan sans images : « Le 5 septembre 2001, les talibans confisquèrent des milliers de bobines de films des Archives du film afghan et les brulèrent en périphérie de Kaboul. On raconte que l’incendie dura 15 jours. Mais les talibans ne savaient pas qu’on leur avait surtout donné des copies de film pouvant être remplacées, plutôt que les négatifs originaux, irremplaçables2 2 - Ibid., 16 min 29 s. [Trad. libre]. »