Lawrence Paul Yuxweluptun, Multi-National Conglomerates Hostile Take Over of the New World Order
Lawrence Paul Yuxweluptun Multi-National Conglomerates Hostile Take Over of the New World Order, 2017.
Photo : permission de l'artiste & Macaulay & Co. Fine Art, Vancouver

(Re)négocier le centre invisible d’Every. Now. Then : la spatialité blanche institutionnelle

Justine Kohleal
Dans un billet court mais émouvant sur l’exposition consacrée au 150e anniversaire du Canada par le Musée des beaux-arts de l’Ontario (MBAO ; de juin à décembre 2017) et intitulée Every. Now. Then : Reframing Nationhood, Amy Fung, auteure, commissaire et « organisatrice d’évènements en tout genre1 1 - Amy Fung, « About », amy fung, . [Trad. libre]», se désole : « C’est “gentil” de la part du Musée de faire des efforts d’inclusion, mais ça prendra plus que ça pour me convaincre. […] [O]n a l’impression que l’expo est organisée par des Blancs, pour les Blancs2 2 - Amy Fung, POST Specific POST, juillet 2017, . [Trad. libre]. »

Elle précise du même souffle que cette impression n’est que partiellement fondée, puisque Every. Now. Then a été conçue par Andrew Hunter, ex-conservateur de l’art canadien du MBAO, en collaboration avec Anique Jordan, artiste et commissaire indépendante, noire, qui vit à Toronto. En plus, les 39 artistes mis en vedette dans cette exposition sont en majorité des Noirs, des Autochtones et des Asiatiques du Sud-Est, dont les œuvres sont juxtaposées à des documents d’archives ou à des matériaux naturels (le Portrait of Maungwudaus, de Paul Kane, 1849-1851 ; les séquences filmées d’un « pow-wow indien » de 1925 ; un cône de percussion récolté à Sudbury, en Ontario, et prêté par le Musée royal de l’Ontario). L’exposition est volontairement privée de centre explicite, ce qui lui permet, comme le décrit le critique d’art Murray Whyte, « de dévier volontairement de son cours, sans excuses ni explications3 3 - Murray Whyte, « Canada Revisited at the Art Gallery of Ontario », The Toronto Star, 3 juillet 2017, <http://bit.ly/2j0k84K>. [Trad. libre] ». Ses thèmes principaux (mémoire, migration, récit, temps) sont répartis en sections et explicités par des citations des artistes ou des textes muraux anonymes, rédigés en anglais ou en anishinaabemowin. Malgré la volonté évidente des commissaires de laisser aux artistes la liberté d’imaginer un avenir nouveau et différent pour eux-mêmes et leur communauté, Every. Now. Then n’en a pas moins, comme le souligne Fung, une tonalité distinctement blanche – qu’elle attribue, paradoxalement, au choix des commissaires de ne pas donner de centre à l’exposition.

La blanchité a beau avoir une « tonalité », elle s’avère parfois difficile à détecter. D’après la philosophe Sara Ahmed, cela s’explique précisément par le fait que la blanchité agit comme un « centre absent par rapport auquel les autres ne sont perçus que comme des déviants ou des axes de déviation4 4 - Sara Ahmed, « The Orient and the Others », Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others, Durham et Londres, Duke University Press, 2006, p. 121. [Trad. libre]». La tonalité blanche d’Every. Now. Then est perceptible dans le refus, voire la négation, de toute dérogation volontaire : refus du Musée de remédier à sa propre culpabilité dans la perpétuation de la suprématie blanche ; refus des commissaires d’assumer pleinement le potentiel de chaque œuvre à désorienter l’espace ; refus des spectateurs d’associer explicitement le Canada blanc contemporain aux procédés suprémacistes blancs (ce qui s’observe dans nombre de commentaires laissés à la fin de l’exposition). En fait, Every. Now. Then semble avoir été passée au filtre du multiculturalisme poli, autre forme de refus qui affaiblit intentionnellement les racines anglaises et françaises du pays par le renforcement de son cosmopolitisme5 5 - Ken Lum, « Canadian Cultural Policy: A Problem of Metaphysics », Canadian Art, vol. 16, n° 3 (1999), p. 76-83.. La politique multiculturelle, dans l’histoire et aujourd’hui, repose par conséquent sur l’idée erronée que le Canada n’a pas de centre inaltérable (blanc) au service d’une élite anglophone (surtout) et francophone (dans une moindre mesure).

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Yu Gu
Interior Migrations, 2017.
Photos : permission de l’artiste
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Dans un article intitulé « The Whitney Biennial for Angry Women » (« La biennale du Whitney pour les femmes en colère », 2014), Eunsong Kim et Maya Isabella Mackrandilal, auteures et éducatrices, introduisent l’expression spatialité(blanche) pour décrire les problèmes inhérents au fait d’exposer des artistes racialisés dans des lieux dominés par les Blancs6 6 - Eunsong Kim et Maya Isabella Mackrandilal, « The Whitney Biennial for Angry Women », The New Inquiry, 4 avril 2014, <bit.ly/2j0MpIO>.. Elles rattachent expressément leur critique au corps noir afin de mettre en évidence la relation tendue qui lie l’artiste noir à l’espace d’exposition, qu’elles décrivent comme un lieu de suprématie blanche visuellement oppressant : « Nous dirons de la [spatialité(blanche)] qu’elle est furtive. Nous dirons que c’est une présence sans provocation. Nous dirons que c’est juste assez de visages noirs pour soulager le sentiment de culpabilité des esprits ouverts, sans remise en cause inconfortable de quoi que ce soit. Nous l’appellerons le fantasme d’une Amérique postraciale. Nous l’appellerons l’invisibilité visible7 7 - Ibid. [Trad. libre]. »

 Mariam Magsi
Performance, dans le cadre de The Public: Land and Body (East), Y+ Contemporary, Scarborough, 2017.
Photo : Anique Jordan

Autrement dit, la spatialité blanche, semblable en cela à la politique multiculturelle canadienne, subsume les différences en refaisant tout le monde à son image. Quand les artistes sont incapables de se conformer à ce programme institutionnel, on les met dans des cases – une artiste noire, un artiste autochtone, une artiste asiatique, une femme artiste – qui ont pour effet de renforcer la blanchité comme centre absent, pourtant omniprésent. Moi qui suis le public idéal du MBAO (et de bien d’autres grands établissements) par mon appartenance à la classe moyenne, blanche et éduquée, j’ai aussi une relation tendue avec lui, bien que pour d’autres raisons : j’espère toujours, naïvement sans doute, que le Musée deviendra un lieu de réflexion où l’hégémonie sera mise en cause et où l’inconfort deviendra productif. Le fait qu’une exposition organisée par deux travailleurs culturels résolus à critiquer les débuts racistes et colonialistes du Canada parvienne quand même à donner l’impression de servir avant tout sa clientèle blanche est le signe d’un profond décrochage entre l’œuvre d’art et l’espace muséal ; décrochage qui, en un sens, déborde la question du commissariat. Ce serait pourtant une erreur de le réduire à la conséquence inévitable de la présentation d’artistes racialisés dans un lieu fondé par et pour des Blancs, car, de fait, beaucoup d’expositions ont réussi à traiter le sesquicentenaire de façon nuancée8 8 - Voir, par exemple, raise a flag: works from the Indigenous Art Collection (2000–2015) (de septembre à décembre 2017), Ryan Rice (commissaire), à la galerie Onsite de l’Université OCAD ; Shame and Prejudice: A Story of Resilience (de janvier à mars 2017), au Musée d’art de l’Université de Toronto ; Repères2017 (du 10 au 25 juin 2017), série de projets artistiques en collaboration présentés à plusieurs endroits au Canada.. La question qui se pose est donc celle-ci : comment faire pour réorienter des lieux imprégnés si distinctement d’une spatialité blanche ?

Bien évidemment, la nomination de Wanda Nanibush au poste de conservatrice de l’art autochtone est prometteuse. Cette bonne nouvelle, toutefois, est obscurcie par le fait que deux femmes se partagent désormais la place laissée libre par Andrew Hunter, Georgiana Uhlyarik ayant été nommée aux côtés de Nanibush au poste de conservatrice de l’art canadien. Que ce soit intentionnel ou pas, leur nomination conjointe sous-entend d’une certaine manière qu’au MBAO, on ne conçoit pas que Nanibush (ou Uhlyarik, tout aussi bien) puisse être gardienne de l’art autochtone et de l’art canadien. Dans une lettre ouverte à son ancien employeur, parue dans le Toronto Star avant que le directeur général du MBAO, Stephan Jost, annonce les nouveaux postes, Hunter exprime sa déception devant le manque de volonté de l’établissement de se restructurer – d’imaginer (sans même parler de le créer) un avenir moins hiérarchisé, en contact plus étroit avec l’échelon local9 9 - Andrew Hunter, « Why I Quit the Art Gallery of Ontario: Former Canadian-Art Curator Andrew Hunter Explains », The Toronto Star, 3 octobre 2017, <bit.ly/2xf3S4H>.. Même si je crois qu’il est important que les personnes en position de pouvoir, et spécialement les personnes blanches, dénoncent les partis pris blancs quand elles en voient, j’estime que Hunter risque de jeter de l’ombre sur le travail que Jordan et lui ont accompli avec Every. Now. Then par cet étalage public de ses alliances, qui détourne l’attention de l’exposition elle-même (ses artistes et ses contrerécits). Sa lettre a également pour conséquence de remettre en question les motifs du MBAO derrière la double nomination, et cela sape la crédibilité des deux femmes en tant que commissaires. La critique que fait Hunter de l’établissement importe malgré tout, même s’il faut disposer de certains privilèges, sans parler de mobilité professionnelle, pour l’exprimer si ouvertement.

Il est possible pour des institutions comme le MBAO de se repositionner comme lieux de réflexion et de transformation, mais seulement à condition d’adopter les ressources spatiales et intellectuelles des artistes et des commissaires issus des minorités visibles, culturelles ou sexuelles. Il est tout aussi possible, en revanche, que ces artistes et commissaires choisissent de ne pas investir leur temps et leurs ressources dans des endroits conçus pour servir les valeurs de la blanchité. C’est le cas, par exemple, de la programmation hors site d’Every. Now. Then, qui, sous la gouverne de la commissaire Anique Jordan, étendait l’exposition dans la communauté. The Public: Land and Body (East), présentée à la galerie Y+ Contemporary de Scarborough, regroupait des performances de Jo SiMalaya Alcampo, d’Esmaa Mohamoud et Qendrim Hoti, de Paul Ohonsi, de Mariam Magsi et d’Abedar Kamgari. La ferme urbaine communautaire Black Creek, qui se consacre « au renforcement de la sécurité alimentaire, à la diminution de l’isolement social et à l’amélioration des perspectives d’emploi et d’éducation10 10 - Ferme communautaire Black Creek, « Our Story », Black Creek Community Farm, <www.blackcreekfarm.ca/about-us/>. [Trad. libre] », accueillait quant à elle The Public: Land and Body (West), qui réunissait en table ronde Erica Violet Lee, Ella Cooper et Sabrina Butterfly Gopaul, en plus de présenter des installations vidéos et des performances. La commissaire souligne le fait qu’Every. Now. Then est différente des autres expositions parce qu’elle laisse « les perspectives de personnes dont la valeur n’est jamais reconnue dans ce type d’espaces indiquer l’orientation à suivre11 11 - Anique Jordan, dans Murray Whyte, loc. cit. [Trad. libre] ». En fournissant à Jordan les moyens d’élargir l’espace habituel du musée – « d’indiquer l’orientation » d’une déviation majeure par rapport à l’idée que l’institution est le lieu de production du savoir par excellence  –, le MBAO ne se contraint pas seulement à partager ses moyens considérables avec des galeries et des centres plus petits ou moins établis : il reconnait du même coup la communauté militante à laquelle Jordan appartient, et le fait que les transformations sociétales se produisent souvent en dehors des espaces institutionnels.

Gu Xiong, Niagara Falls
Gu Xiong 
Illuminated Niagara Falls,
détail, 2017.
Photo : permission de l’artiste
Syrus Marcus Ware
Baby, Don’t Worry, You Know That We Got You, 2017.
Photo : permission de l’artiste

Au cœur même du MBAO, les artistes racialisés dérangent productivement en imprégnant les espaces blancs de leur corps, de leur présence et de leur voix, et Every. Now. Then ne fait pas exception. Les œuvres Illuminated Niagara Falls (2017), de Gu Xiong, et Interior Migrations (2017), de Yu Gu, sont bouleversantes, comme le sont les quatre dessins imposants de Syrus Marcus Ware formant la série Baby, Don’t Worry, You Know That We Got You (2017). Les travailleurs migrants jamaïcains et mexicains représentés dans l’avalanche de photographies de Xiong sont vus de plus près et traités de manière plus intime dans la vidéo à trois écrans de Yu, qui redonne du son et du mouvement à cette stupéfiante imagerie. Alors que la simple quantité de photos rend les portraits virtuellement indéchiffrables, les vidéos de Yu sont l’occasion de se concentrer sur les individus et leur histoire. Ware jette un regard intimiste semblable sur certains membres de la communauté militante de Toronto, saisis dans des poses détendues qui récusent subtilement la violence à laquelle on les associe couramment. La fondatrice de la section torontoise de Black Lives Matter, Yusra Khogali, est représentée assise, les coudes appuyés nonchalamment sur les genoux, les lèvres entrouvertes, comme si elle s’apprêtait à saluer un ami ; mais elle domine le visiteur de toute la hauteur d’un format historiquement réservé aux rois et, plus tard, à la bourgeoisie. Des œuvres comme celles de Xiong, Yu et Ware sont un défi à la fixité spatiale du MBAO : elles mettent volontairement en échec les conventions didactiques de visibilité que le public attend ; les spectateurs doivent aborder ces œuvres physiquement, déplacer leur corps en fonction des objets (et des sujets) présents dans la salle afin d’absorber les nuances de chacune. Le fait d’habiter son corps – d’aller et de venir entre les différentes parties de l’œuvre, de se pencher, de plisser les yeux, de s’accroupir, de passer d’un écran à l’autre, d’une personne à l’autre – a le pouvoir, sinon de modifier, du moins d’exposer les orientations physiques, mentales et sociales de chacun.

Mais la spatialité blanche est profondément enracinée. Ses effets, comme les métastases d’un cancer, atteignent tout l’établissement. Ce serait négligent de ma part, par conséquent, de laisser entendre qu’en augmentant simplement le nombre d’artistes et de commissaires de couleur, on éloignerait le MBAO d’un modèle eurocentrique, patriarcal et suprémaciste blanc, surtout quand les principes de la spatialité blanche sont si incrustés dans les échelons supérieurs de l’organisme, y compris ses sources de financement. La plupart des musées canadiens ont recours à la fois à des fonds privés et à des fonds publics, et la part fournie par le secteur privé augmente sans cesse. En effet, aux subventions gouvernementales récurrentes accordées au MBAO (environ 33 % de son budget) s’ajoutent les dons de ses principaux bienfaiteurs, qui sont, pour l’année financière 2014-2015, la famille Thompson, la fondation de la famille Delaney, Fredrick S. et Catherine Eaton, The Globe and Mail et Mobil Oil Canada12 12 - Art Gallery of Ontario, 2014/2015: Year in Review, <www.ago.net/assets/files/pdf/AGO-Year-in-Review-2014-2015.pdf>.. Pour éviter que le prix des billets n’augmente exponentiellement, ces dons sont nécessaires. Pourtant, ils sont un constituant indéniable de la spatialité blanche : la présentation d’une position apparemment contraire, qui plus est au sujet d’un évènement déjà controversé comme l’était la célébration du sesquicentenaire, réaffirme la légitimité de l’institution en tant que bastion du progressisme, en même temps qu’elle absout certains investisseurs (gouvernementaux ou autres) de leurs tactiques (potentiellement) néocoloniales. Le soutien financier d’Every. Now. Then, par exemple, provient pour l’essentiel du Conseil des arts du Canada, d’Ontario 150 et du gouvernement du Canada directement. Cette information n’est pas un secret ; au contraire, elle est affichée sur une plaque à l’entrée de l’exposition – avant même que soit reconnu le territoire autochtone.

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EsmaaMohamoud-QendrinHoti_performance
Esmaa Mohamoud & Qendrim Hoti
performance, dans le cadre de The Public: Land and Body (East), Y+ Contemporary, Scarborough, 2017.
Photos : Anique Jordan

Parce que ce numéro d’esse aborde la question de la nature inconstante et agonistique de la démocratie, je ne peux m’empêcher de rappeler l’élection de Justin Trudeau, en 2015, qui a été suivie de la nomination de deux députés autochtones à son cabinet. Les photos qui ont circulé peu de temps après, où l’on voit le premier ministre aux côtés de Jody Wilson-Raybould (ministre de la Justice) et de Hunter Tootoo (alors ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne), ont fait beaucoup pour illustrer l’engagement du gouvernement libéral envers la solidarité et la réconciliation13 13 - Tiar Wilson, « Hopeful Indigenous Reaction to Justin Trudeau’s Cabinet Picks », CBC News, 4 novembre 2015, <bit.ly/2mneOLy>.. Elles ont aussi consolidé l’image de Justin Trudeau en allié fiable bien déterminé à s’attaquer à la réforme du système juridique (à la question des femmes autochtones disparues et assassinées, en particulier) et aux problèmes environnementaux et à fournir aux communautés autochtones des sommes correspondant à leurs besoins. Rien de cela ne s’est vérifié : la construction des pipelines a été autorisée, la commission d’enquête sur les femmes autochtones est un échec, les communautés nordiques n’ont toujours pas accès à de l’eau potable propre et le nombre de suicides chez les jeunes Inuits a bondi. Les gestes de solidarité, comme l’indiquent Kim et Mackrandilal, sont « souvent rhétoriques » : jusqu’à ce que les personnes de couleur occupent des postes de pouvoir, leur insertion dans les milieux dominés par les Blancs n’annule pas automatiquement les racines impérialistes ni les tendances coloniales actuelles de ces milieux14 14 - Eunsong Kim et Maya Isabella Mackrandilal, loc. cit.. Pire, cette insertion tourne souvent à l’avantage de la blanchité, en apaisant les personnes qui autrement pourraient critiquer le programme politique qui la sert. À laisser les commissaires, critiques, dirigeants et publics blancs se satisfaire de simples gestes de solidarité, on court le risque de voir l’hégémonie néolibérale perdurer, inaltérée. Et avancer, comme le fait Andrew Hunter, que les musées sont des lieux coercitifs revient à problématiser la force ou l’intimidation, et à négliger le caractère idéologique de la spatialité blanche ; en plus de motiver la création de nos espaces physiques, celle-ci influence nos relations intellectuelles et sociales, et ce, de façon encore plus subtile, voire insidieuse.

Les idéaux qui fondent nos établissements publics sont les mêmes que ceux qui caractérisent la démocratie occidentale, mais si l’on croit que le musée contemporain est un espace public exempt de préjugés, c’est qu’on ignore qu’il est codifié depuis toujours selon les critères de la suprématie blanche. Je n’ai pas l’expertise nécessaire pour déterminer comment, exactement, les musées devraient démanteler la spatialité blanche, en grande partie parce que je suis moi-même blanche. La nomination de Nanibush est une bonne chose, c’est évident, comme le serait l’embauche d’un plus grand nombre de personnes de couleur à des postes importants au sein des grands établissements. Il faudra sans doute, pour y arriver, une transparence organisationnelle radicale, qui naitrait d’un débat public ouvert et accessible sur la façon dont les musées sélectionnent leurs employés et choisissent leurs expositions. Cette transparence nécessiterait peut-être, aussi, un dialogue plus franc sur les racines du libéralisme dans les institutions et les façons dont il a joué de la spatialité blanche pour justifier et éluder à la fois le mauvais traitement réservé aux artistes et aux commissaires racialisés. Si, toutefois, le MBAO donne aux commissaires, aux artistes, aux dirigeants et aux bailleurs de fonds qui sont traditionnellement écartés de la discussion l’autonomie de choisir les orientations – et si ces personnes continuent de transborder les ressources de l’établissement aux organismes communautaires, dont elles affirment par le fait même l’importance –, il y a peut-être une raison de sauver ces dinosaures de l’extinction, après tout.

Je remercie sincèrement mon collègue Tak Pham, commissaire et critique d’art, de ses judicieux commentaires et de son soutien pendant la rédaction de cet article.

Traduit de l’anglais par Sophie Chisogne

Esmaa Mohamoud, Gu Xiong, Justine Kohleal, Mariam Magsi, Qendrim Hoti, Syrus Marcus Ware
Esmaa Mohamoud, Gu Xiong, Justine Kohleal, Mariam Magsi, Qendrim Hoti, Syrus Marcus Ware
Esmaa Mohamoud, Gu Xiong, Justine Kohleal, Mariam Magsi, Qendrim Hoti, Syrus Marcus Ware
Cet article parait également dans le numéro 92 - Démocratie
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