Femen_Bureau de scrutin de Trump
Femen (Neda Topaloski) Bureau de scrutin de Donald Trump, Manhattan, 8 novembre 2016.
Photo : © Darren Ornitz

Manifestations nues : féminisme et culture visuelle

Jennifer Griffiths
Malgré de récents débats sur la crise des sciences humaines, les spécialistes de l’art et de la culture visuelle demeurent conscients qu’à l’égard de la politique, leur expertise est plus pertinente que jamais. Depuis 2009, le groupe radical ukrainien Femen s’est servi d’une nudité sensationnaliste pour attirer l’attention des médias. Certains croient que Femen sert de paravent à des hommes d’affaires ukrainiens ; d’autres, mieux disposés, trouvent que les interventions du groupe trahissent son ignorance ou son indifférence quant aux combats antérieurs du féminisme pour surmonter la différence physique entre les sexes. Quant à moi, je considère que leurs actes de protestation montrent bien que la dynamique visuelle de la sphère publique repose sur des relations inégales au regard. Entendues comme un art de la performance politique, les interventions nues de Femen dans une variété de dossiers prouvent en fait que l’affirmation de John Berger, en 1972, selon laquelle « être homme c’est agir, être femme c’est paraitre1 1 - John Berger, Voir le voir [1972], trad. de Monique Triomphe, Paris, Alain Moreau, coll. « Textualité », 1976, p. 51. », a une portée qui va bien au-delà de la peinture.

En 1903, Emmeline Pankhurst fondait la Women’s Social and Political Union, dont le mot d’ordre était « Des gestes, pas des mots » et dont la réputation allait se bâtir sur la confrontation physique. C’était là un groupe de femmes déterminées à agir. Quand Muriel Matters et Helen Fox se sont enchainées à la grille de la cour des dames, à la Chambre des communes, ou quand Sylvia Pankhurst et d’autres suffragettes ont été nourries de force en prison alors qu’elles faisaient la grève de la faim, les images et les comptes rendus qui les accompagnaient dans les journaux trahissaient une espèce de joie sadique2 2 - Voir James Vernon, Hunger: A Modern History, Cambridge, Harvard University Press, 2009.. Les actes de résistance des suffragettes étaient rapidement convertis dans les termes établis de la violence sexuelle, et leurs corps assertifs, porteurs d’une grande puissance politique, étaient transposés dans un autre rôle, dématérialisés par une imagerie statique. Jill Lepore a défendu récemment l’idée que cette image de la suffragette enchainée a été la source d’inspiration de William Moulton Marston pour son héroïne de bandes dessinées, Wonder Woman : le seul moyen de l’arrêter est de la bâillonner ou de l’attacher – et c’est bien ainsi qu’elle apparait dans presque tous les épisodes originaux3 3 - Jill Lepore, Secret History of Superwoman, New York, Random House, 2014..

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Cet article parait également dans le numéro 90 - Féminismes
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