1- Je nomme ma pratique « performance ». J’aime aussi employer les diminutifs « perf » et « perfo ».

2- Quand je dis que je fais de la performance, les gens hésitent, cherchent à quoi cela peut bien se rattacher et hasardent un « Ah, vous faites de la danse ? » et devant mon silence « Euh, du théâtre ? Enfin, qu’est-ce que vous faites au juste ? » Je réponds alors que la performance est une façon de faire de l’art avec son corps et que, contrairement à la danse et au théâtre, cette forme d’art emprunte allègrement aux autres formes d’art avec un brin d’irrévérence. Cela peut même aller jusqu’à la gaucherie, plutôt la gauche authenticité, dans la mesure où une maladresse est faite avec le plus d’aisance et de grâce possible. Cependant, les emprunts, forcément moins approfondis que la maîtrise, doivent contenir une partie essentielle de la forme d’art empruntée. Idéalement, les emprunts ne se perçoivent plus parce qu’ils sont imbriqués à même le tissu de la performance.

3- Je fais de la performance depuis samedi, le 24 mai 1997 très exactement, jour où je plongeai le plus naturellement (non sans peur) dans ma première perf lors d’un stage avec Sylvie Tourangeau à Joliette. J’ai choisi la performance à la suite de la révélation ressentie à l’occasion de la Journée internationale d’art performance à Joliette, le 19 octobre 1996. Tout au long de la journée, je ne cessais de me répéter in peto : « L’art, c’est ÇA ! Il n’y a que ÇA ! » suivant un crescendo qui culmina avec la performance de l’artiste japonaise Tari Ito répondant à un interrogatoire imaginaire :
« Who are you ? »
« l’m Tari lto. l’m an artist. l’m Tari Ito. I’m a performance artist ».

La performance m’allège de l’accumulation d’œuvres d’art invendues et non exposées. Si je produis des objets d’art, car j’aime dessiner et peindre, il faudra que j’apprenne à les donner ou à les vendre, parfois même à les détruire. La thésaurisation, tout autant que le commerce, alourdit l’esprit et l’espace. Or la perf m’affranchit de tout ça puisqu’elle s’exerce par la présence dans l’instant. Une fois terminée il en reste des souvenirs chez les spectateurs et la performeuse et des traces sur pellicule. Ces traces demandent une gestion rigoureuse afin de simplifier toujours ce qui est matériel. ldéalement, je tends à garder un dossier maître compilant mes performances et deux copies remplacées régulièrement par les dernières œuvres.

Je fais de la performance parce que le corps de l’artiste est au centre de l’œuvre. Il en est le principal véhicule en même temps que l’image. Exactement comme dans la vie. En plus, la perf me permet d’entrer en contact avec le public en ne présentant à la fois comme artiste et comme œuvre devant lui.

4- Dans une société de plus en plus envahie par la profusion d’images/informations, par la vitesse et par les objets, la perf est pour moi hautement explosive dans l’humanité de son rapport à l’autre, dans la sensualité de l’interaction des corps de la performeuse et des spectateurs et dans la simplicité des moyens utilisés. Chaque perf est un coup d’épée dans l’espace audiovisuel médiatisé qui en brouille, momentanément, les ondes. Elle aurait une plus grande force si plus de gens et d’artistes en faisaient (même occasionnellement) car elle aide à s’affranchir de comportements acquis et favorise la recentration sur soi. Je reçois souvent des commentaires après mes perfs où les gens me disent ce qu’ils auraient aimé que je fasse. À travers ce qu’ils disent, je comprends que je viens d’allumer, de réveiller en eux une envie de s’exprimer. Je n’ai qu’une réponse: « Faites-le ! Ce que je n’ai pas dit ou fait, dites-le, faites-le ! »

5- Les caractéristiques de la performance se démarquent de celles du spectacle ou des arts de la scène par la simplicité des moyens : pas d’équipe de techniciens, pas de matériel lourd. Bien qu’il pourrait y avoir tout ça et avoir de la performance. Donc, par la disponibilité de la performeuse à voir basculer à tout moment sa performance à cause de la réaction du public, d’un objet manquant, d’une erreur technique, etc. et d’être en mesure de l’intégrer dans sa performance. Cette disponibilité fait en sorte que tout n’est pas joué à l’avance, et d’ailleurs que peu de choses sont connues à l’avance de la performeuse si ce n’est l’essentiel.

Dans la mesure où j’agis devant les gens, que j’offre la performance à leur regard, je participe au spectacle. Elle est d’ailleurs annoncée, parfois tarifée à l’entrée et apporte un cachet modeste à celle qui la fait. Personnellement, je ne suis pas détachée de la notion de spectacle puisqu’une de mes préoccupations les plus vives est de ne pas ennuyer le public. Il faut que j’arrive à dire, à faire, à toucher, avec un maximum d’effet dans un temps donné. C’est pourquoi je pense aux points de chute, que je veux percutants. Le début et la fin d’une perf sont les instants que je détermine aisément. C’est l’espace entre les deux qui me demande le plus de temps de réflexion. Comme ma pratique est jeune, je me demande ce que je ferais si je devais terminer une perf autrement qu’avec ce que j’ai en tête. Car la disponibilité mentionnée plus haut ne doit pas empêcher l’artiste que je suis d’amener le public là où je le veux, même imparfaitement.

Marie-Josée Dauphinais, Marie-Josée Dauphinais
Cet article parait également dans le numéro 40 - Performance
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