Rafael SottolichioPaysage américain no 1, 1999.
Photo  : permission de l’artiste | courtesy of the artist
L’artiste Rafael Sottolichio s’interroge depuis le début de sa carrière sur le rôle des images dans la société et, plus spécifiquement, dans le milieu des arts visuels. La question « What does it mean to make pictures about pictures in 19931 1  - Judi Freeman, Mark Tansey, catalogue d’exposition, Los Angeles-San Francisco, Los Angeles County Museum of Art/Chronicle Books, 1993, p. 13.  » que pose Judi Freeman à propos du travail pictural de Mark Tansey, peut très bien servir de prémices à une analyse des œuvres de Sottolichio. En effet, si l’artiste ne cache pas l’utilisation de la ­photographie autant comme sujet de l’œuvre que pour créer des mises en scène, sa démarche demeure néanmoins ancrée dans une réflexion sur le médium peinture. La récente rétrospective présentée par le Centre Expression de Saint-Hyacinthe2 2  - Fragments et figures a été présentée du 17 novembre au 23 décembre 2007., puis une exposition de tableaux récents à la Galerie Orange de Montréal3 3  - S’étranger a été présentée du 5 au 23 mars 2008. ont permis de retracer le parcours artistique de ce peintre qui œuvre au Québec depuis les dix dernières années. 

La photographie en tant que sujet de l’œuvre

Depuis les années 1960, bon nombre de peintres ont introduit la ­photographie au sein de leur pratique, que ce soit en s’appropriant des images déjà existantes ou en captant eux-mêmes les éléments qu’ils reproduiront ensuite sur la toile. Nommons, entre autres, Chuck Close, Mark Tansey, Eric Fischl, et plus près de nous Martin Bureau et Dominique Gaucher. C’est dans cette foulée que s’inscrit la pratique de Sottolichio. Dans une entrevue accordée à l’historien de l’art Serge Allaire, il déclare : « Dans les années 1990, j’ai commencé à travailler strictement d’après photo, à reproduire le modèle photographique, à reproduire sa syntaxe. […] À ce moment-là, l’œuvre et la démarche de Gerhard Richter m’ont profondément inspiré, sa touche particulière entre autres, la distance qu’il construit entre l’image photo et la peinture4 4 - Serge Allaire, Fragments, figures. Rafael Sottolichio, Saint-Hyacinthe : Expression, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe ; Québec : Lacerte art contemporain ; Montréal : Galerie Orange, 2008, p. 2.. » En fait, à la manière du peintre allemand, Sottolichio peint des photographies. La série de Paysages américains, réalisée par l’artiste entre 1990 et 2004, illustre de façon manifeste son intérêt à interroger la représentation en puisant à même le langage propre au médium photographique. Partant ­d’images captées d’une voiture en mouvement, les compositions montrent ­principalement des autoroutes ou des maisons de banlieue, retraçant les différents déplacements de l’artiste dans ces paysages transformés par l’homme. Dans cette série, Sottolichio transpose l’instantanéité du cliché et peint sur la toile le flou de l’image afin de mystifier le spectateur qui se demande s’il est bien devant une photographie. Avec plus ­d’attention, celui-ci se rend compte qu’il s’agit bien d’une toile, celle-ci présentant un léger empâtement sur la surface, traces de matière laissées par les coups de pinceau et la couleur qui se dissout pour évoquer le flou. Sottolichio brouille les pistes entre la photographie et la peinture en créant une ambiguïté, c’est-à-dire que l’artiste opère une hybridation qui donne aux œuvres une facture photographique. La photographie devient, dans cette première série, le sujet de l’œuvre. Dans ce cas-ci, l’utilisation du médium photographique et de sa syntaxe permet au peintre d’explorer la matière picturale en conservant les propriétés matérielles de la peinture, tout en maintenant une certaine tension entre les deux. 

Rafael Sottolichio
Engloutis no 54, 2008.
Photo  : permission de l’artiste | courtesy of the artist

La question de l’hybridation 

À partir des années 2000, la pratique de Sottolichio se transforme et se complexifie. Il convient d’insister sur le processus de composition, car ­l’artiste tend peu à peu à se détacher de la photographie, sans jamais l’abandonner totalement. Travaillant différemment l’usage de la ­photographie par rapport à sa première série, l’artiste crée des mises en scène à partir de différentes images qu’il a captées lors de ses ­déambulations urbaines, essentiellement dans des lieux ­abandonnés ou des sites en construction, des espaces publics tels que le métro ou des centres d’achats. Il photographie également des gens de son ­entourage dans différentes postures, seuls ou en groupe. À partir de ces différentes images, l’artiste les assemble à l’ordinateur avant de passer directement à la toile. La photographie n’est plus reproduite telle quelle mais est au service de l’imaginaire ou d’un concept que l’artiste veut développer. Ainsi, la photographie permet à Sottolichio d’introduire une trame ­narrative au sein du tableau en mettant en scène des ­personnages dans différentes situations. Avec la série Les engloutis (2002-2007), ­l’artiste associe la ­photographie et la peinture dans une volonté ­affirmée ­d’hybridation des styles. Le mélange du figuratif, qui prend forme avec le portrait des sujets, s’oppose au traitement de la matière qui vient salir la ­représentation en quelque sorte. Les corps des personnages ­semblent happés par la ­peinture. En fait, la matière s’affirme sur le ­support, les lignes s’entrelacent, la peinture dégouline et s’accumule, les traits ­ramènent l’œil à la surface, un peu comme si toutes ces ­stratégies prises par le peintre venaient créer un filtre sur l’image en laissant la matière prendre plus d’espace sur la surface de la toile. L’ovale apposé sur le ­visage des personnages forme un médaillon qui crée un effet de repoussoir entre la représentation du visage qui flirte avec le réalisme photographique et l’ensemble du tableau qui, lui, tend vers l’abstraction. En fait, l’artiste s’affranchit peu à peu de la photographie pour utiliser les images uniquement comme motif et non plus comme sujet principal de l’œuvre. 

Dans ses projets récents, l’artiste n’a pas tout a fait abandonné la photographie comme source de réflexion sur la peinture, mais il ­s’intéresse de plus en plus à l’abstraction. Sottolichio crée toujours des mises en scène mais la composition d’ensemble paraît le mener vers une expérimentation encore plus marquée de la matière. Dans La conspiration (2008), on peut encore deviner les espaces qui sont représentés (on ­s’imagine des lieux abandonnés ou des locaux vacants) et les personnages sont intégrés, mais ils sont devenus fantomatiques, évacuant tous les détails permettant de reconnaître les individus représentés. Utilisant déjà le langage ­plastique de l’abstraction (hard edge, formes géométriques, aplat de couleurs, lignes, points, etc.), l’artiste semble tendre vers une évacuation totale de tout réalisme. La confrontation de ces différents types d’abstraction ­renvoie à une tendance postmoderne où les références au passé ne sont pas ­évacuées mais servent plutôt à développer un langage qui lui est propre. Ainsi, certains éléments autoréférentiels reviennent d’une toile à l’autre créant ainsi un lexique propre à l’artiste qui souhaite abandonner totalement la photographie. Tous ces éléments procèdent d’une recherche ontologique des propriétés de la peinture en tant que langage et permettent de questionner le médium et ses différents procédés dans la création des images. 

Dans la pratique de Rafael Sottolichio, la logique de reproduction du réel se confronte à la matière, au geste de peindre. Par une ­reproduction fidèle d’images photographiques, il y a surtout une volonté de créer de nouveaux rapports à l’image. En utilisant la facture photographique comme tactique de représentation, l’artiste poursuit un ­questionnement sur le rôle des images aujourd’hui. En cela, la question du début, à savoir ce que signifie la création d’images à partir d’images, révèle la tension qui se pose à l’œuvre et comment elle peut se positionner dans un contexte de surenchère d’images de toute nature. Par ailleurs, si les oeuvres de ­l’artiste séduisent au premier coup d’œil, il n’en demeure pas moins ­qu’elles ­permettent une réflexion sur notre manière de voir et de concevoir le monde et de proposer une pratique de la peinture qui revoit constamment son propre système de production.

Manon Tourigny, Rafael Sottolichio
Cet article parait également dans le numéro 64 - Déchets
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