Carlos et Jason Sanchez, The Baptism, 2003.
photo : permission des artistes et de Nicholas Metivier Gallery, Toronto

Depuis quelques années, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) travaille à renouveler la réflexion sur les modes de ­présentation des œuvres, comme en fait foi l’ouvrage d’Emmanuelle Vieira, Design d’exposition. Dix mises en espace d’exposition au Musée national des beaux-arts du Québec1 1 - Emmanuelle Vieira, Design d’exposition. Dix mises en espace d’exposition au Musée national des beaux-arts du Québec, Québec MNBAQ, 2004, 136 p. . Du 24 avril 2008 au 8 février 2009, il ­poursuivait ses initiatives en proposant Intrus / Intruders, une ­exposition ­présentant à même les sept salles consacrées aux ­collections d’œuvres historiques de l’institution des réalisations ­d’artistes contemporains2 2 - Ce type de pratique cherchant à engager un dialogue entre des œuvres anciennes et des œuvres contemporaines s’est développé fortement depuis quelques années en Europe. Voir Yves Bergeron et Raymond Montpetit, « Présenter des œuvres contemporaines dans les sales d’exposition permanente », Intrus / Intruders, Québec, MNBAQ, 2008, p. 157-162. . Certes, il faut souligner cet effort pour ­donner une visibilité à l’art ­contemporain dans l’enceinte du musée, mais il importe aussi de ­questionner un ­certain nombre de choix muséologiques qui ont été faits.

D’entrée de jeu, il convient de se pencher sur la pertinence du titre de l’exposition. Bien entendu, le terme « intrus » peut laisser sous-­entendre un appel au jeu, une invitation à chercher celui qui ne ­correspond pas aux autres éléments d’un ensemble. Cependant, le choix de ce terme impose aussi dans l’esprit du visiteur l’idée d’une ­confrontation violente, de ­quelque chose qui relève de l’envahissement, puisqu’un intrus est quelqu’un qui s’introduit dans un lieu sans y être invité. Ainsi, on risque d’induire dans l’esprit du public l’impression que l’art contemporain n’est pas à sa place dans les salles du musée. De même, en choisissant d’utiliser des panneaux pour indiquer, à l’entrée de chacune des salles, la présence des œuvres intruses, le musée a favorisé l’idée d’une « ­traque » des œuvres contemporaines et renforcissait ainsi dans l’esprit du ­visiteur l’idée que ces œuvres usurpaient une place qui ne leur était pas destinée3 3 - Ce choix paraît d’autant plus discutable que, comme l’écrit dans le ­catalogue Mélanie Boucher, commissaire de l’événement, « les œuvres choisies dans ­l’exposition Intrus / Intruders s’avèrent, pour la plupart, assez aisées à repérer. » Mélanie Boucher, « Intrus, mais qu’à moitié », Intrus / Intruders, Québec, MNBAQ, 2008, p. 20. .

Il convient aussi de discuter du mode de disposition des œuvres dans le musée. En décidant d’introduire les réalisations ­contemporaines dans les univers pensés pour les œuvres anciennes, car comme le ­rappelle Line Ouellet dans le catalogue d’exposition, « les sept ­salles ­présentant la ­collection du Musée sont conçues comme autant ­d’expositions ­individuelles, avec un propos mettant l’accent sur une variété de ­problématiques qui ne relèvent pas uniquement de périodes, de styles ou de disciplines, comme c’est souvent le cas dans les musée d’art4 4 - Line Ouellet, « De l’exposition dans l’exposition », Intrus / Intruders, Québec, MNBAQ, 2008, p. 11. », le musée n’a pas démontré son habituel souci pour doter les œuvres contemporaines d’un environnement les mettant en valeur. De plus, en confiant le travail de sélection et d’installation de ces ­réalisations à Mélanie Boucher, une commissaire d’exposition indépendante, le musée se trouvait à valoriser sa signature au détriment des œuvres elles­mêmes, puisque l’exposition devenait ainsi, à toute fin pratique, sa ­création5 5 - En consultant les quelques articles critiques sur l’exposition, on constate ­rapidement que ce fut effectivement le cas..

Son mandat demandant qu’elle respecte l’autonomie des expositions permanentes, Boucher a dû créer des thèmes de travail particuliers pour chacune des salles afin de pouvoir échapper au caractère rigide de ces minis expositions et de mettre en valeur les œuvres qu’elle avait ­sélectionnées pour l’occasion. À cette fin, elle a cherché à ­diversifier les façons de faire dialoguer les réalisations actuelles avec les œuvres ­anciennes. L’ensemble de ces dialogues peut être regroupé sous deux grands modes opératoires, soit des rencontres autour de liens ­thématiques, soit des rencontres s’articulant sur l’association de liens formels. De façon ­générale, les rapprochements basés sur des liens plus formels fonctionnaient mieux que ceux reposant sur des ­associations thématiques. Parmi les belles réussites, l’accrochage de la ­photographie The Baptism de Carlos et Jason Sanchez entre L’incrédulité de Saint‑Thomas d’Eugène Hamel et Le Baptême du Christ de Jean-Baptiste Roy-Audy se révélait à la fois sensible et audacieux. De même ­l’installation de l’œuvre de Manon Labrecque, L’Imitée, parmi les portraits réalisés par Théophile Hamel était très judicieuse. Il faudrait aussi mentionner que Boucher réussit à renouveler le regard sur Darboral de Massimo Guerrera en ­plaçant des fragments de cette œuvre parmi des sculptures des années 1940 et 1950.

En favorisant le rapprochement entre les œuvres par l’exploitation de l’idée de filiation, Boucher évitait les confrontations trop directes et les impressions de rupture nette. Malgré tout, à quelques endroits dans l’exposition, on pouvait avoir l’impression de se retrouver au cœur d’une fausse querelle des anciens et des modernes, tellement un rapport de comparaison semblait s’imposer entre les œuvres contemporaines, qui apparaissaient comme des morceaux choisis ou encore des morceaux de choix, et les œuvres plus anciennes. Ce sentiment est particulièrement vif dans la section intitulée Je me Souviens. Quand l’art imagine l’histoire, où l’on retrouve Étalon d’Alain Benoit et Girl with White Shirt (RR Lime) de Janet Werner. Si l’on comprend le raisonnement sur la fabrication de l’histoire et des héros derrière le choix de ces oeuvres, le résultat dans l’espace d’exposition est beaucoup moins évident et éclatant, laissant ces dernières un peu en plan parmi les réalisations historiques. 

Malgré les nombreuses réserves dont j’ai pu faire part, au-delà même du fait que les visiteurs auront parcourus les salles d’art ­historique et que l’exercice aura permis à un certain nombre d’entre eux de ­comprendre qu’il existe des liens réels entre l’art ancien et l’art contemporain, je suis persuadé que la muséologie québécoise sort gagnante d’une telle expérience. Bien que l’on puisse déplorer que toutes les œuvres n’aient pu profiter d’un contexte qui aurait nourri ou renouvelé leur lecture, il faut reconnaître qu’il s’agissait d’une aventure extrêmement stimulante intellectuellement et qui, j’ose espérer, aura marqué l’imaginaire des futurs conservateurs de musée.

Carlos & Jason Sanchez, Pierre Rannou
Cet article parait également dans le numéro 66 - Disparition
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