Catherine Bolduc, My life without gravity, Künstlerhaus Bethanien, Berlin, 2008.
photo : Maxime Ballesteros
En résidence au studio du Québec à Berlin, Catherine Bolduc défie les paramètres de sa production antérieure, avec son œuvre installative My life without gravity, présentée au Bethanien, en 2008. Cette dernière traduit en partie la recherche accomplie par l’artiste pendant, si on peut dire, son temps d’exil. Loin des regards familiers, elle s’accorde la liberté d’explorer un nouveau médium, la vidéo, qu’elle intègre à un langage ­installatif. 

D’entrée de jeu ou entré dans le jeu, le regardeur découvre un grand cube blanc qui va jusqu’au plafond, perforé de petits orifices disposés en constellations et par lesquels est propulsée la lumière d’un ­stroboscope. De concert avec la lumière et jouée en boucle, une bande sonore de feux ­d’artifice allant de sons espacés jusqu’à un crescendo envahissant, ne manque pas de rappeler les sonorités moins festives de coups de feu. Cette frontière qui sépare la création d’instants magiques, comme l’­explosion des feux d’artifice, et le son isolé de ceux-ci qui éveille une pensée pour la guerre, caractérise le travail de Bolduc. Elle s’évertue à créer des ­univers enchanteurs mais vulnérables (Encore des châteaux en Espagne1 1 - Titre d’une œuvre présentée à Circa dans le cadre de l’exposition Faire du surplace, en 2005.) ou ­féeriques mais agressants (Le jeu chinois2 2 -  Présentée à la Galerie de l’UQAM en 2005.) face auxquels le spectateur doit, chaque fois, inventer sa propre envolée imaginaire dans ­l’interprétation de l’œuvre et assumer la précarité de la magie ainsi ­engendrée. Dans un deuxième temps, en longeant le cube criblé de lumière en mouvement, le visiteur aperçoit une projection vidéo dans un espace exigu entre le mur du cube et celui de la galerie. Celle-ci consiste en une autofiction ­narrative de l’artiste qui, vu de dos et habillée de noir, monte dans un escabeau jusqu’au dernier échelon pour se lancer dans le brouillard ou la fumée. Romantique et pathétique, cette séquence ­présentée en boucle évoque le saut ultime sans en dévoiler la signification3 3 - L’artiste s’est inspirée du tableau de l’artiste Caspar David Friedrich Le Voyageur contemplant une mer de nuages, figure emblématique du mouvement de la peinture romantique allemande.. L’idée de la mort, ­sous-jacente, ­s’entrelace avec celle du retour, mais sans créer une ­atmosphère tragique ; on y sent plutôt un côté fantasmagorique, une idéologie du grand saut, peut-être celui qui permet d’ouvrir la porte, avec Alice, pour entrer au pays des merveilles. 

Catherine Bolduc, My life without gravity, Künstlerhaus Bethanien, Berlin, 2008.
photo : Maxime Ballesteros 

On peut donc percevoir le travail de cette artiste comme un regard critique sur une société dont les revers apparaissent teintés d’absurdité, mais ce qui s’inscrit au cœur de cette pratique artistique est aussi une réflexion sur le besoin intrinsèque à l’être humain de s’inventer Encore des Châteaux en Espagne. My life without gravity traduit donc ­l’expression du fantastique, de l’instant parfait qui facilite la traversée et fait vaciller la routine. C’est d’ailleurs cette capacité bien humaine de créer du ­fantastique avec des pacotilles qui a toujours fasciné Bolduc. Ce regard porteur ­d’espoir au-delà de la réalité environnante, cette ­dimension ­magique attribuée à l’enfance mais qui heureusement perdure chez l’adulte, forge l’intention de l’artiste, tout aussi bien que l’étroitesse des frontières entre ­l’émerveillement et l’impitoyable dureté du monde réel.

Pour accentuer la tension qu’engendre la rencontre de forces ­contraires, l’œuvre, malgré son désir de créer un lieu hors temps, demeure, à travers sa trame répétitive, intimement liée au quotidien. La répétition s’impose comme un élément important dans ­l’élaboration du langage visuel de l’artiste. Cette fois, il ne se traduit point par ­accumulation d’un ou de plusieurs objets choisis, comme dans la plupart de ses œuvres ­antérieures, mais par la répétition de la séquence vidéo et de la bande ­sonore. Un langage fort simplifié si on le compare aux ­propositions ­précédentes plus baroques, et qui se positionne par rapport au ­minimalisme. L’œuvre de Catherine Bolduc revisite ce dernier, sans pour autant ­s’identifier au ­mouvement, dans une volonté de mettre en lumière, de manière explosive, le contenu, l’intérieur de la forme, et dans ce sens, fait un clin d’œil au cube blanc, Sealed Room ? No Access, de Bruce Nauman (1970)4 4 - Collection Friedrich Christian Flick.. Cette démarche conduite par un désir de ré-enchanter le langage minimaliste, poursuit une intention amorcée avec son œuvre Le bout du monde, présentée en 2007 à l’événement Artefact Montréal. Dans My life without gravity, la vidéo, qui permet une narration plus explicite, est définitivement complice de l’épuration des formes, tout en soutenant l’expression d’une même intention artistique. Celle-ci s’insère dans le mouvement de l’autofiction à l’intérieur duquel la femme se réapproprie la représentation du corps féminin. Aussi, en filigrane à la chute qui nous est proposée, on devine une fascination pour le sublime, une sensation de flottaison, de vide, une volonté de laisser derrière, un besoin d’abandon, de jeu, pour détourner la gravité des choses, d’un lieu, d’un fait. 

My life without gravity propose la rencontre d’un certain romantisme, d’une pointe ludique et d’un désir de croire en l’enchantement momentané tout en ne manquant pas de suggérer son altérabilité. Une fois de plus, Catherine Bolduc crée un espace dont l’accès nous est refusé, tout en sollicitant nos sens par les sons et la lumière qui nous y parviennent avec intensité. La disparition-apparition du sujet dans la fumée n’est pas sans rappeler celle du brouillard décrit par Umberto Eco5 5 - Umberto Eco, La mystérieuse flamme de la reine Ioana, Grasset, 2005., où s’efface l’empreinte mémorielle de l’individu qui s’acharne pourtant à ­remonter les échelons des souvenirs. Dans ce jeu de l’éternel retour, l’ascension vers ce qui est à la fois merveilleux et menaçant demeure un prélude ­l’incontournable reconnaissance de la finalité de notre condition humaine. 

Catherine Bolduc, Hélène Brunet Neumann
Cet article parait également dans le numéro 65 - Fragile
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