Les Sabines
La pratique des Sabines, duo « d’entrepreneuses de la culture » de Montréal, comprend une série de publications sous forme de zines parues à raison d’une par année depuis 2009. Ces essais visuels annoncent de grands sujets par leurs titres pompeux, vaguement représentatifs de leur contenu réel : L’hyper-réalisme au temps de Napoléon, L’existentialisme est un humanisme II, La post-image… Profitant des processus de dépôt légal, Les Sabines font indexer leurs publications dans diverses archives internationales, nationales et provinciales, se construisant par le fait même une aura de légitimité.
Les dessins qui composent ces zines, le plus souvent sommaires, regorgent de références au travail qu’implique une jeune carrière artistique (préparatifs pour une performance, construction du site web personnel, rédaction de demandes de subvention, appels de projets, ateliers, colloques). Chez Les Sabines, comme dans la vie, ces expériences sont juxtaposées à celles des premiers emplois et stages dans le domaine de la culture. Les malaises, gaffes et doutes y côtoient les petites victoires et les bons coups. Une fatigue s’y fait souvent sentir, comme si l’effort exigé par l’achèvement du travail avait été trop imposant pour les ambitieuses procrastinatrices que sont Les Sabines.
Par la dérision, elles abordent la pression du travail et la quête de réussite indissociables du quotidien des artistes. Autofictions milléniales, leurs zines sont marqués par le langage du Web et une certaine attitude de la culture des mèmes : ironie, juxtaposition surprenante du texte et de l’image, appropriation de la culture populaire, références à l’actualité. Ils évoquent l’autopromotion, le « développement de carrière », tout en se moquant des tendances actuelles de mise en marché de l’art contemporain.
En performance et en installation, Les Sabines poursuivent leur réflexion sur le travail culturel en mettant en lumière de menues tâches, souvent ingrates. Elles exposent les encombrantes boites d’archives du Conseil québécois de l’estampe et deviennent traiteures bénévoles le temps d’un forum. Elles incarnent des stagiaires dépassées par une bagarre dans un atelier de fanzine à la Nuit blanche, puis utilisent la plage qui leur est allouée dans un évènement de performance pour nettoyer l’espace des saletés laissées par les artistes les ayant précédées. Par une curieuse alchimie, Les Sabines transforment l’embarras, l’inconfort et la maladresse en occasions de briller.
Légendes
2- Travailleuses de la culture, depuis 2015, vue d'installation dans le cadre du lancement de la publication Le programme institutionnel, Arprim Centre d'essai en art imprimé, Montréal, 2016. Photo : © Les Sabines
3- Travailleuses de la culture, depuis 2015, vue d'installation dans le cadre du lancement de la publication Le programme institutionnel, Arprim Centre d'essai en art imprimé, Montréal, 2016. Photo : © Les Sabines