Signer ou s’effacer ? : Pour une pratique éthique du commissariat d’exposition

Anne-Marie Ninacs

[In French]

Le mot anglais curator trouve en français deux traductions : « conservateur », lorsqu’il concerne notre action auprès des collections, et « commissaire » lorsqu’on prépare une exposition1 1 - Version abrégée d’une conférence prononcée dans le cadre de la table ronde Unspoken Assumptions : Visual Art Curators in Context, organisée par l’Ontario Association of Art Galleries et l’Artist-Run Centers and Collectives of Ontario et tenue au Banff Centre du 15 au 17 juillet 2005..

Si ces deux mandats s’appuient traditionnellement sur la même formation, ils ne font pas tout à fait appel aux mêmes compétences et se distinguent principalement par la part de créativité inhérente aux expositions, qui n’a pas lieu d’être dans les collections. De sorte que, si la profession de conservateur est bien balisée par les codes de déontologie des musées, la pratique du commissaire, quant à elle, précisément en raison de cette part de créativité et d’intimité, de cette part de subjectivité qui la caractérise, me semble encore poser certaines questions, dont d’emblée celle, simple mais essentielle, de savoir ce que serait une pratique éthique de l’exposition.

Au Québec et dans l’ensemble du Canada, l’histoire du commissariat est assez jeune puisque, malgré qu’ils s’activent depuis le début du 20e siècle, les premiers conservateurs reconnus comme tels ne sont nommés que vers le début des années 1960 et sont rattachés aux collections des grands musées. On voit leur nombre augmenter de manière exponentielle au cours des années 1970 avec la création de plusieurs musées régionaux, mais ce n’est encore qu’au milieu des années 1980 qu’apparaissent les premiers commissaires indépendants, alors appelés « conservateurs-invités » ou « conservateurs-indépendants » même s’ils ne sont responsables d’aucune collection. Comme on le sait, cette nouvelle profession n’a fait que s’élargir depuis, et ses acteurs – provenant de divers horizons –, se multiplier, de sorte que le terme « commissariat » englobe aujourd’hui tant l’exposition thématique internationale et la rétrospective d’envergure que la signature d’un simple feuillet de texte dans un opuscule.

En Europe, le scénario est à peu près le même, à la différence qu’il se produit une vingtaine d’années en avance sur le nôtre. On s’entend généralement pour dire que la figure du commissaire indépendant apparaît en 1969 avec le renvoi d’Harald Szeemann de la Kunsthalle de Berne, bien que Szeemann lui-même rappelle ainsi une histoire commencée avant lui :
Le métier, relativement récent, d’organisateur d’exposition, dénommé « animateur » en France, s’est développé à une allure folle depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s’est tout d’abord distingué de celui de conservateur pour avoir pris conséquemment le parti de l’artiste contre la science de l’art puis, dernièrement, il est devenu davantage le mandataire de l’idée de l’œuvre d’art totale […]. Ce qui distinguait l’artiste, depuis l’autonomie de l’œuvre et l’irrationalité supposée de ses associations dans la réception, jusqu’à la revendication de l’utopie dans la production et, par conséquent, ses relations difficiles avec le pouvoir, est maintenant dévolu à l’organisateur de l’exposition ou au directeur de la Kunsthalle2 2 - Harald Szeemann, Écrire les expositions, Bruxelles, La Lettre volée, 1996, p. 18. [Je souligne]..

Outre l’apparition précoce de la fonction de commissaire, deux choses frappent dans son propos : d’abord cette idée que le statut d’organisateur d’expositions « s’est distingué de celui de conservateur pour avoir pris le parti de l’artiste contre la science de l’art », puis cette position, traditionnellement dévolue à l’artiste, que le commissaire adopte dorénavant face à l’institution. Qu’est-ce à dire, sinon que le commissaire a pris la part du sujet sur l’objet, de l’artiste sur l’œuvre, et qu’il inscrit de ce fait, et ce dès son entrée en scène, la subjectivité au cœur même de son action ? Qu’est-ce à dire, sinon que l’organisateur d’expositions « à la sensibilité artistique » se pose d’emblée dans un rapport de tension, voire d’opposition vis-à-vis du conservateur de musée « aux visées scientifiques » ? On sent déjà germer, dans une telle dichotomie, les divergences d’opinions qui animent encore aujourd’hui notre profession et la schizophrénie qui habite souvent le commissaire lui-même.

Par ses expositions très affirmatives et ses convictions personnelles clairement affichées, Harald Szeemann, on le sait, aura mené cette subjectivité du commissaire à son apogée, de sorte qu’on lui reproche souvent d’avoir été à l’origine d’une « dérive narcissique3 3 - Stéphanie Moisdon, « Harald Szeemann : vie et mort du commissaire Harry », Beaux Arts magazine, mai 2005, p. 44. » qui a ouvert la voie à tous les commissaires vedettes qui parcourent la planète. Quoiqu’on pense toutefois de son approche du métier, Szeemann demeure, pour quiconque veut aujourd’hui réfléchir sur le commissariat, une référence incontournable. Car, à partir de son arrivée, aux fonctions scientifiques traditionnelles du conservateur et à la valeur d’objectivité de son jugement sur les œuvres, s’ajoute la subjectivité de son discours lors de leur assemblage pour une exposition. Mon intuition est que s’il est encore si difficile aujourd’hui de s’entendre sur une définition de la profession de commissaire, c’est que, chez la plupart de ses pratiquants, et ce, qu’ils soient ou non attachés à une institution, ces deux héritages apparemment contradictoires sont toujours pleinement opératoires mais agissent, pour chacun, dans des proportions laissées à sa discrétion. L’éthique du commissaire tiendrait peut-être dans l’équilibre qu’il établit entre ces deux fonctions ?

Une pratique ?

De fait, le commissaire a encore aujourd’hui une responsabilité d’ordre scientifique vis-à-vis de l’histoire de l’art puisqu’il y participe activement par son discours et ses actions. Il a aussi des comptes à rendre aux artistes avec lesquels il travaille et dont il manie les œuvres, et un devoir de leur rendre justice. Et il s’adresse à un public aux yeux duquel son jugement, perçu comme « objectif », fait toujours autorité. De manière générale en effet, le spectateur croit que les commissaires font à peu près tous la même chose, qu’ils s’intéressent à tout ce qui s’appelle art, sans distinction et, surtout, qu’ils savent : si les choses sont bien conduites, la facture même des expositions conserve habituellement peu de traces du passage du commissaire, peu d’indices d’un « je » à l’œuvre, et le discours véhiculé a l’air d’une vérité ayant existé de toute éternité. Paradoxalement, on ne cesse d’observer, dans le champ de l’art actuel en particulier, l’accroissement de la part de subjectivité assumée par les commissaires dans la conception et la réalisation de leurs projets d’expositions ; on trouve aussi de moins en moins de résistance à cette idée, même chez nos collègues des secteurs historiques. S’il s’agit d’une prise de conscience qu’on voit se répandre dans l’ensemble des sciences humaines à l’heure actuelle, ce mouvement vers la subjectivité et la créativité était, dès les années 1970 pour Harald Szeemann, tout à fait naturel dans le parcours du commissaire d’expositions : « en demeurant dans le contexte de l’art, expliquait-il, on se rapproche, avec le temps, de l’alternative : soit gérer l’acquis par la répétition de l’activité, soit s’approprier l’exposition comme moyen d’expression personnelle4 4 - H. Szeemann, op. cit., p. 41.. » À nouveau donc l’opposition : spécialisation scientifique d’un côté ; création artistique de l’autre.

À l’évidence, pour plusieurs commissaires – dont je suis –, c’est la seconde option qui a été retenue. L’exposition est véritablement devenue un moyen d’expression et elle se voit de plus en plus souvent conçue comme une pratique – ce qui n’exclut pas toutefois qu’elle puisse avoir une portée scientifique certaine. Personnellement, j’entends par pratique le fait que le commissaire travaille à partir des connaissances et de la méthodologie qu’il a apprises, mais en suivant ses intuitions et les méthodes qu’il s’est lui-même forgées ; qu’il tente à l’aide de ces outils de relever des liens souterrains entre des univers a priori étrangers les uns aux autres (les œuvres), en visant à extraire de ces liens du sens, tout en cherchant à pister sa propre essence ; puis qu’il traduise tout cela par des mots – ceux qu’il écrira dans la salle et au catalogue – mais, surtout, par une expérience des formes dans l’espace – car nous oublions trop souvent que le langage spécifique du commissaire, s’il en est un, s’élabore d’abord là : dans la mise en relation spatiale d’objets d’art. Enfin, il est à souhaiter que le commissaire tente de pratiquer les conclusions qu’il a tirées de tout cela dans sa propre existence. En résumé, cette pratique du commissariat serait, tout simplement et très loin de l’étalage arbitraire, expressionniste et émotif auquel les mots « expression personnelle » peuvent donner à penser ; une aventure intellectuelle dans le sens plein du terme, qui aurait ici pour moyen d’expression l’exposition. Elle serait donc beaucoup plus scientifique qu’il n’y paraît.

Ainsi, loin de parasiter les œuvres des artistes, chaque exposition du commissaire qui travaille « comme un artiste » participerait d’une œuvre, d’un projet d’existence qui se nourrit de ceux des artistes présentés, et les alimente en retour. S’éloignant pareillement de l’approche autoritaire du conservateur « objectif » qui expose ce qu’il sait déjà, qui expose un résultat, le commissaire engagé dans une pratique rigoureuse et intègre exposerait plutôt ce qu’il cherche lui-même à comprendre, c’est-à-dire qu’il s’avancerait vers les non-savoirs que sont les œuvres et le problème qui les réunit, cherchant avec intensité la résonance profonde que tout cela a pour lui et ainsi pour autrui. Dans les meilleurs cas, en effet, le commissaire ne vise pas à imposer sa personnalité : il cherche, bien au contraire, à se découvrir à l’intérieur, à travers chacun des choix qu’il opère. Il n’est d’ailleurs en aucun cas nécessaire que cette recherche personnelle saute aux yeux de tous : bien conduite, elle devrait plutôt se sentir, se transmettre et agir sur la réception des œuvres à un niveau souterrain, qui n’est autre que ce qui nous relie – artiste, visiteur et commissaire – en tant qu’êtres humains.

Au milieu des années 1970 déjà, Harald Szeemann parle semblablement de sa conception des expositions comme des « manifestations publiques vers l’auto-réalisation » et de son désir d’utiliser toutes ses énergies dans sa propre obsession et ce qui l’alimente, ce qui signifie, précise-t-il, ressentir uniquement le subjectif en tant que nécessité5 5 - Ibid., p. 43. ». Ce à quoi il ajoute quelques années plus tard : « […] c’est à l’unique condition de faire de l’exposition mon mode d’expression propre, vécu, que celle-ci sert, in fine, également à autrui6 6 - Ibid., p. 55.. » C’est en raison de déclarations de cet ordre, évidemment, qu’il s’est fait rabrouer par plusieurs qui n’y voyaient qu’un culte de la personnalité. Pourtant, il prend bien soin de préciser l’objectif ultime de son approche subjective – non pas l’autopromotion mais l’autoréalisation – ainsi que son exigence par rapport à ce moyen d’expression : qu’il soit une absolue nécessité, « que monter une exposition soit vraiment ce qu’il y a de plus important pour celui qui le fait7 7 - Ibid., p. 43. ». On est loin à mon sens des fantaisies personnelles et égoïstes, et bien plus proche d’une éthique profondément humaine. N’est-ce pas là d’ailleurs – la pleine réalisation de notre être – la première chose que nous apprennent les artistes que nous présentons comme modèles à notre communauté ?

Plutôt que de tirer les œuvres vers sa subjectivité pour promouvoir sa seule idée, le commissaire qui pratique l’exposition plonge et s’absorbe complètement dans les œuvres qu’il a choisi de présenter, pour éventuellement s’y reconnaître et s’y comprendre. À mon sens, cette différence de mouvement, vers l’Autre plutôt que vers soi, ce généreux et joyeux investissement, constitue un jalon essentiel de l’éthique du commissaire, et la seule condition à laquelle n’est vraiment envisageable l’admission de sa subjectivité dans cette affaire. Car il faut en effet rappeler – ici à la grande différence de l’artiste qui bénéficie d’une licence artistique totale – l’imputabilité du commissaire à l’égard des artistes, de leurs œuvres, du public, de l’institution et des autres chercheurs.

Quelle éthique ?

En 1978, c’est-à-dire au moment même où Szeemann fait valoir la subjectivité du commissaire et ses « mythologies individuelles », l’American Association of Museums publie dans Museum Ethics les lignes de conduite suivantes à l’intention des conservateurs, intitulées de manière fort éloquente « Truth in Presentation » :
L’honnêteté intellectuelle et l’objectivité dans la présentation des objets sont le devoir de tout professionnel. L’origine établie de l’objet ou son attribution doivent refléter la recherche approfondie et honnête du conservateur […].
Le professionnel de musée doit faire les plus grands efforts afin de s’assurer que les expositions sont des expressions honnêtes et objectives et qu’elles ne perpétuent aucun mythe ni stéréotype. Les expositions doivent offrir avec tact et sincérité une vision honnête et signifiante du sujet. […]
La recherche et la préparation d’une exposition amèneront souvent le professionnel à élaborer un point de vue ou une interprétation de son matériel. Il doit clairement saisir le moment où le jugement professionnel finit et où la vision personnelle commence. Il doit être convaincu que la présentation en découlant est le produit d’un jugement objectif8 8 - « Truth in Presentation », Museum Ethics, Washington D.C., American Association of Museums, 1978, p. 14-15. [Je souligne et traduis.].

Après avoir été gouvernés par des principes aussi rigides, on comprend vite pourquoi accepter pleinement la subjectivité du commissaire provoque encore aujourd’hui quelques réticences, même chez ceux qui la revendiquent. Vingt ans plus tard pourtant, dans un autre Museum Ethics manifestant les changements fondamentaux qui se sont opérés au sein de la profession, l’auteur David K. Dean affirme à l’inverse, d’entrée de jeu, la subjectivité inhérente à l’action du commissaire d’expositions et relève tout de suite les questions éthiques que cette nouvelle position fait surgir. Il demande :
Quels principes éthiques s’appliquent et, en pratique, comment un ensemble de règles peut-il être appliqué à ce qui est essentiellement une création – chaque exposition étant une entité unique ? Comme [le muséologue] Richard Rabinowitz le dit au sujet des expositions : « C’est un art que nous produisons. En raison de toute la recherche investie dans la création d’une exposition interprétative, de tous les soins apportés à la documentation et à la conservation des artefacts présentés, la synthèse que constitue une exposition est un acte de création singulier et composite – une œuvre d’art conceptuel9 9 - David K. Dean, « Ethics and Museum Exhibitions », dans Gary Edson, dir., Museum Ethics, Londres et New York, Routledge, 1997, p. 218.. »

À ces questions, Dean propose deux principales solutions, essentiellement motivées par la confiance tacite qu’ont encore aujourd’hui la plupart des visiteurs de musées à l’égard de l’information qui leur est présentée et qu’ils reçoivent comme des faits. Il suggère d’abord de s’assurer que l’information offerte au public est précise et vérifiable dans les limites du savoir humain actuel ; puis d’être en mesure de reconnaître publiquement la faillibilité inhérente aux idées présentées en raison de leur source même, à savoir la subjectivité du commissaire. Techniquement, il s’agirait selon lui que l’exposition soit signée et accompagnée au besoin d’un texte qui indique clairement que l’exposition est le produit de la pensée ou des spéculations de l’organisateur : « L’essentiel, dit-il, est que ces intuitions de chercheurs soient présentées ouvertement et non pas, par omission, comme des faits établis10 10 - Ibid., p. 220. [Je traduis.]. » Si la signature est aujourd’hui largement pratiquée dans le milieu de l’art, il reste peut-être effectivement une réflexion à faire quant aux textes qui accompagnent nos expositions. S’offrent-ils, ces textes de salle et de catalogue, comme des pistes de réflexion, une pensée en mouvement, une opinion que le visiteur n’est pas tenu de suivre, ou se donnent-ils plutôt à lire comme des affirmations ? Y a-t-il lieu d’y mettre plus de questions, plus d’ouverture, de faire part de nos hésitations ? Et comment arriver à le faire sans perdre la confiance du lecteur ? Ces questions sont d’autant plus importantes que David Dean rappelle que la responsabilité du commissaire repose ultimement sur sa seule conscience personnelle et professionnelle : « Les commissaires, écrit-il, se doivent d’évaluer l’information exposée en regard de l’épée éthique qui se balance […] directement au-dessus de leur tête d’intellectuels – sinon la complaisance s’installe11 11 - D. K. Dean, op. cit., p. 220. [Je traduis.]. »

Mais nous pourrions penser encore à quelques autres manières de faire savoir que les expositions sont des créations de l’esprit et non pas de simples monstrations. J’ai en tête, très concrètement, le site Internet d’une commissaire indépendante visité récemment dans lequel la section Curatorial Mission Statement m’a particulièrement frappée, me faisant réaliser que je n’avais jamais moi-même rédigé un tel document. On nous demande effectivement de justifier à la pièce ce sur quoi nous voulons travailler, mais jamais comment cela s’inscrit dans une pensée, dans une démarche. Dans la mesure où le commissaire réclame une part grandissante de liberté et de subjectivité, ne devrait-il pas être tenu, par souci de transparence et par respect pour le public, par souci scientifique aussi, d’expliquer quelles sont les valeurs qui guident son travail et ce qu’il cherche à transmettre à travers lui ? Rencontre-t-il même, à cet égard, les exigences qu’il impose quotidiennement aux artistes avec lesquels il travaille ? Quiconque évaluerait la cohérence et l’envergure de son aventure y trouverait-il son compte ? Si nous voulons bien comprendre où il en va du commissariat et si nous voulons qu’il soit une solide profession, il faudrait peut être d’abord être en mesure de répondre individuellement à de telles questions.

On peut reprocher beaucoup de choses à Harald Szeemann, mais il est encore à ce jour et à ma connaissance un des rares commissaires qui ait substantiellement écrit sur ces enjeux. Tous ses textes témoignent en effet de « sa constante attention à l’ensemble des questions de déontologie que soulève son métier dans ses rapports avec l’art, les artistes et le respect de leurs décisions et de leurs œuvres, [avec] les lieux, le pouvoir politique, l’économie, la fonction muséale12 12 - C’est Michel Baudson, qui les a édités, qui le rappelle dans sa préface à H. Szeemann, op. cit., p. 11. ». Ce qu’il attendait de l’art, ce qu’il comptait en faire et pensait qu’il était en mesure d’offrir à la société, ainsi que son éthique personnelle du commissariat sont également abondamment définis dans le cadre de son projet d’« Agence pour le travail intellectuel à la demande au service de la vision d’un Musée des obsessions » dont le titre porte en soi tout un programme de travail et ses exigences. Il rédige même en 1979 un texte en forme de prière intitulé « Honneur professionnel du conservateur pour les années 1980 en prévision de l’an 200013 13 - Ibid., p. 13-15. » et, le lisant, je me suis demandée, particulièrement à notre époque soumise à des pressions économiques et politiques de plus en plus fortes, combien d’entre nous seraient à même de livrer avec la même clarté nos convictions en ce qui concerne notre métier, depuis la manière dont sont choisis les collaborateurs et les valeurs soutenues à travers les œuvres et les artistes présentés, jusqu’à la portée sociale souhaitée pour nos expositions. Szeemann résume bien ici les siennes :
Les mythologies individuelles […] préfigurent ce que fut l’objectif de chacune [de mes] expositions de ces dernières années : rendre perceptible une attitude exemplaire vécue en tant qu’individuum, et ainsi rendre visible l’anticipation d’identité qui, seule, devrait mettre en évidence et présenter une société meilleure, plus créative et plus consciente. Quand les attitudes ne deviendront plus forme mais « signifiant14 14 - H. Szeemann, op. cit., p. 30. ». Plus de 30 ans plus tard, il me semble y avoir encore dans ces propos quelques pistes de réflexions durables concernant ce qu’est la pratique de l’exposition et ce qu’en serait l’éthique. Ne serait-ce que le fait de la signer implique d’emblée un devoir de signifier.

Anne-Marie Ninacs
This article also appears in the issue 57 - Signatures
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