Mathieu Beauséjour, Claudine Hubert, André-Louis Paré
Icarus : la chute de l’empire

Dominique Allard
Oboro, Montréal, 2012, 103 p.
[In French]
Icarus : la chute de l’empire séduit tant par son travail d’écriture que par sa conception graphique. Accompagnant l’exposition solo de Mathieu Beauséjour présentée à Oboro sous le commissariat de Claudine Hubert, le catalogue ajoute à notre compréhension du plus récent projet de l’artiste, lequel marque un surprenant tournant formel. Signés par l’artiste, la commissaire et l’auteur invité, André-Louis Paré, les trois courts textes qui constituent l’ouvrage en plus des planches et vues d’installation de l’exposition proposent différentes perspectives sur un thème qui fait parfaitement écho à l’image constitutive du corpus Icarus : une forme circulaire entourée d’un tracé répétitif de lignes, de rayons.

Comme le laisse présager le titre de l’ouvrage, le cadre conceptuel du projet repose sur le mythe d’Icare qui, fasciné par l’astre lumineux – par « cet œil qui le regarde » –, se brûle les ailes aux abords du Soleil et retombe vers la terre. Si la chute d’Icare a été maintes fois représentée en art, une des particularités du projet est d’interroger un autre moment dramatique du récit, celui où Icare est suspendu dans le ciel et fixe le soleil : la publication met en cause à la fois les motifs du désir et de l’ambition, l’emprise et l’attrait séducteur du pouvoir, et plus concrètement, ce que voit et entend Icare à l’approche du Soleil. Les trois textes, d’ailleurs, sont saisis dans leur perspective herméneutique comme autant d’hypothèses explorant ce qu’aurait pu être « sa version de l’histoire ».

L’entrée en matière de l’ouvrage est assurée par une photographie d’archives de 1919 montrant une éclipse solaire. L’image du Soleil absent oriente la lecture en annonçant les déplacements métonymiques auxquels participera l’écriture – déplacement de l’intérêt, par exemple, du soleil vers son symbole, l’or (couleur qu’on retrouve sur la miroitante jaquette du livre). Le texte de l’artiste retrace la genèse de ce projet mené depuis 2009 et en expose clairement la portée symbolique en le définissant comme « une allégorie de la chute de l’empire capitaliste » (p. 11). C’est par le regard éclairant de la commissaire que sont réfléchis les rapports complexes entre les œuvres exposées : du mouvement circulaire du Soleil à celui, répétitif et expansif, de la ligne du dessin, Claudine Hubert met en lumière les forces systémiques qui se déploient dans les œuvres et la pensée, dont ces formes « rhizomiques » et tournantes qu’elle associe au « plexus » et au « vortex » solaires. Quant au propos philosophique d’André-Louis Paré, il ouvre de multiples pistes de réflexions, tant politiques qu’économiques ou anthropologiques, relatives au gai savoir cher à Nietzsche. Ces variations sur un thème, très intelligibles, constituent un point fort de l’ouvrage en encourageant la circulation et la reformulation des idées.

Dominique Allard, Mathieu Beauséjour
Dominique Allard, Mathieu Beauséjour
This article also appears in the issue 76 - The Idea of Painting
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