Le Mois de la Photo à Montréal

Claire Moeder
Centre Clark, Atelier Circulaire, Maison de la culture Frontenac, Parisian Laundry, Musée McCord
Du 10 septembre au 11 octobre
Roberto Pellegrinuzzi Mémoires, vue d’installation, Parisian Laundry, Montréal, 2015.
Photo : permission de l’artiste & Galerie Pierre-François Ouellette Art Contemporain, Montréal
Centre Clark, Atelier Circulaire, Maison de la culture Frontenac, Parisian Laundry, Musée McCord
Du 10 septembre au 11 octobre
[In French]

Les œuvres post-photographiques sélectionnées par le commissaire Joan Fontcuberta recoupent plusieurs enjeux qui touchent la photographie depuis la dernière révolution numérique, soit notre rapport à la quantité de clichés disponibles sur Internet, leur utilisation par les artistes, la manipulation numérique des images par le biais de technologies accessibles et la réinvention de nouvelles stratégies artistiques. Aussi éclatées que soient les propositions de cette édition du Mois de la Photo Montréal, elles se rattachent principalement à des sujets à la rencontre entre image intime et enjeu social.

Qu’elle soit issue du geste propre à l’artiste photographe, amateur ou anonyme, l’image post-photographique semble se tourner davantage vers l’image personnelle, naviguant entre dimension individuelle et sociale. Ainsi, on retrouve dans le travail de Laia Abril ou du collectif After Facebook un questionnement sur la représentation de soi et l’autoportrait. Les égo-portraits de personnes anorexiques chez la première et les profils Facebook servant de mémorial à leurs propriétaires décédés chez les seconds montrent comment l’approche photographique actuelle peut être conditionnée par la stimulation généralisée de la mise en scène de soi dans les espaces publics virtuels. Ces artistes appréhendent les images disponibles par le biais des réseaux sociaux ou blogues personnels qui décrivent l’« extimité », mise en scène publique de l’individu et de sa part intime. Ils s’attardent tout particulièrement sur la mise en scène ambivalente de ces zones marginales que sont la maladie et la mort. Radicale dans les deux projets d’Abril et After Facebook, présentés respectivement à la Parisian Laundry et au Musée Mc Cord, cette extimité apparait aussi sous son jour le plus trivial et banal chez Christopher Baker, qui compose une installation à partir de 5000 vidéoblogues issues de MySpace, YouTube et Facebook. Cette grille plurielle confronte le spectateur à des centaines de monologues où chacun se livre avec pudeur ou excentricité face à la caméra, s’exposant tout en disparaissant dans la combinaison infinie des images.

Par ailleurs, l’œuvre de Baker mobilise la stratégie du spectaculaire, sans pour autant être le pôle dominant de l’événement pensé par Fontcuberta. Ici, c’est l’accumulation simultanée d’une centaine de vidéos qui joue de la possibilité de faire spectacle avec des images de nature triviale ou amateur. L’amplification de l’image à une échelle grand format et installative se retrouve également dans l’œuvre de Roberto Pellegrinuzzi faites de milliers de clichés suspendus à des fils et de Dominique Blain qui a composé un triptyque vidéo sur de grands panneaux décalés. Cette dernière présente des images de foules puisées dans des archives documentant divers rassemblements, manifestations et contestations sociales des décennies précédentes.

En mobilisant l’image dans l’espace, l’installation conduit le spectateur vers un rapport davantage immersif, contrairement au rapport frontal traditionnel. Représenté principalement par les œuvres d’After Facebook, Chatonsky & Sirois, Blain et Pellegrinuzzi, le médium de l’installation reste cantonné dans des formes traditionnelles, allant de la grille au triptyque vidéo, en passant par la suspension d’écrans ou d’images imprimées. Chez Chatonsky & Sirois pourtant, le mariage heureux entre images oniriques et sculpture au langage post-minimal échappe à ce langage traditionnel. Trois projections font défiler des images puisées à partir de bases de données disponibles sur Internet, puis traitées grâce à des logiciels qui interprètent près de 20 000 rêves collectés par un institut de recherche. L’intimité du rêve se métamorphose par le biais de ces différentes interprétations. Ici, le sujet photographique du rêve amalgame les dimensions personnelles, scientifiques et virtuelles, menant plus loin encore ce qui était déjà perceptible chez plusieurs des artistes de cette 14e édition.

Néanmoins, ce traitement de l’intime et de la sphère individuelle, ne tend pas vers un propos social ou encore éthique engagé. Si une force de dénonciation sociale ou politique est palpable chez Blain, After Facebook ou encore Snyder elle n’est pas pour autant l’enjeu central de cette édition. Sans remise en question radicale, abordant trop sporadiquement les enjeux éthiques et sociaux qui sont bousculés aujourd’hui, les expositions de La condition post-photographique apparaissent davantage comme un exercice tantôt descriptif, tantôt expérimental des usages actuels que l’on fait de l’image à l’ère de la seconde révolution numérique.

Christopher Baker, Claire Moeder, Dominique Blain, Laia Abril
Christopher Baker, Claire Moeder, Dominique Blain, Laia Abril

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