En imparfaite santé : la médicalisation de l’architecture

Dominique Allard
Giovanna Borasi et Mirko Zardini, (dir.), Centre canadien d’architecture, Canada et Lars Müller Publishers, Suisse, 2012, 399 p.
[In French]

Codirigée par Mirko Zardini et Giovanna Borasi, commissaires de l’exposition En imparfaite santé : la médicalisation de l’architecture présentée au CCA, cette publication propose une réflexion critique sur l’influence de la santé et de la médicalisation en architecture, en paysagisme et en urbanisme, des années 50 à aujourd’hui. Débordant du cadre de l’exposition, et conçu comme outil didactique, l’ouvrage comprend huit essais associés aux questions d’allergies, d’asthme, de cancer, d’obésité, d’épidémies et de vieillissement, ainsi que plusieurs maquettes et projets architecturaux, mettant l’accent sur une conception culturelle de la santé.

Pour ce faire, une attention particulière est portée aux transferts métaphoriques associés à l’idée de transplantation chirurgicale, par la création de parcs urbains dits « poumons verts », ou encore à celle d’une régénération du corps urbain à coups de procédures médicales. Les rénovations thérapeutiques qui verdissent les toits et les façades pour les couvrir d’une nouvelle « peau végétale », et par les effets « placebos » de l’architecture en sont d’autres exemples. Partant de la proposition selon laquelle « nous sommes obsédés par l’idée de santé au point d’avoir donné naissance à une nouvelle philosophie imprégnée de moralisme, le santisme » (p. 15), le livre met en lumière les incertitudes et contradictions inhérentes à la manière dont l’architecture aborde les questions propres au domaine de la santé. L’exposition prolonge ainsi la réflexion portant sur le bien-être et l’espace urbain entamée lors de présentations précédentes au CCA, notamment Actions : comment s’approprier la ville (2008) et Sensations urbaines (2006).

Soulignons la qualité de l’ouvrage à commencer par la conception graphique originale qui en facilite sa consultation entre autres, par un système d’indexation à même les textes qui, au moyen de variations typographiques, marquent les termes et expressions nécessaires à la compréhension du propos. Notons aussi la riche réflexion de David Gissen qui interroge la possibilité d’une esthétique architecturale de la pollution et invite à questionner sur le caractère utopique des projets proposés. D’ailleurs, le point fort de l’ouvrage relève de la posture critique qu’adoptent les auteurs afin de mettre en évidence l’incapacité – « l’imparfaite santé » – de l’architecture à répondre aux récentes préoccupations en matière de santé publique, dont le discours ambigu sous-tend non seulement l’idée de bien-être, mais celle de pouvoir et de privilège. Or, en perdant sa capacité critique face aux discours prégnants et ubiquitaires sur la santé, l’architecture actuelle se pose elle-même comme un corps malade pour lequel les auteurs prescrivent son urgente « démédicalisation » – danger qu’ils n’hésitent pas à illustrer par une référence constante au film de fiction Safe (1995) de Todd Haynes qui effraie par l’évocation d’une vie menée en quarantaine permanente.

Dominique Allard
Dominique Allard
This article also appears in the issue 77 - Indignation
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