Mathieu Lefèvre, Flaming Paint Tube, 2010.
photo : permission de la Angell Gallery, Toronto
[In French]
Le 18 octobre dernier, l’artiste canadien Mathieu Lefèvre perdait la vie dans un tragique accident de circulation au cœur de Brooklyn, là où il vivait et travaillait comme artiste depuis plus d’un an.Réservoir d’idées intarissable, créateur irrévérencieux et drôle, Lefèvre était sans contredit l’un des artistes les plus prometteurs de la relève canadienne. Il avait 30 ans.

Avant de rejoindre New York, Mathieu Lefèvre a habité plusieurs années à Montréal, où il a obtenu un diplôme en arts visuels de l’UQAM et tissé de nombreux liens. Originaire d’Edmonton, il a participé à ­plusieurs expositions au Canada et à l’étranger. Le printemps dernier, il avait représenté le Canada à la biennale de Prague, en République tchèque. Dans son atelier, que ses proches ont pu visiter après ses obsèques, des œuvres fraîchement emballées attendaient sur le sol un destin qu’elles ne connaîtront jamais. Elles devaient partir pour New York et Toronto où l’artiste se préparait à exposer.

Ce que l’on retiendra de l’œuvre de Mathieu Lefèvre c’est, d’un point de vue formel, un véritable amour de la peinture et plus particulièrement de la peinture à l’huile. L’artiste aimait cette matière dans toutes ses dimensions, il aimait en accumuler des couches, de manière grossière parfois, directement du tube sur la toile comme s’il s’agissait d’une matière à sculpter. Même s’il privilégiait la peinture, son travail empruntait souvent aussi à l’installation et à la sculpture. On pense par exemple à la pièce Monument to Indecision (2008), dans laquelle il a créé une arche constituée de tous les outils présents dans son atelier, enveloppés dans du papier plastifié, ou encore à Boredom Desk, Bubble Gum under Desk, un bureau d’écolier dont le revers est couvert de gomme à mâcher.

Mathieu Lefèvre, Paint Sandwich, 2010.
photos : permission de la Angell Gallery, Toronto

Lefèvre aimait répéter que son travail était influencé par la dérision et l’humour slapstick, bouffon, un humour grossier et volontairement exagéré popularisé par le cinéma burlesque américain et personnifié par la figure de Buster Keaton. Des œuvres comme Hilarious Banana, Hilarious Rake (2010) et Action Painting (2010), qui représentent une banane et des râteaux faits de peinture à l’huile séchée et semblent prêtes à piéger le visiteur, sont des clins d’œil exemplaires au genre.

L’humour dont usait quotidiennement Mathieu Lefèvre était intimement lié à sa personnalité, et ceux qui l’ont connu garderont de lui le souvenir d’un être généreux, drôle et piquant. Cet humour n’était pas seulement une fin, mais aussi un moyen, une méthode qui lui permettait de se moquer des conventions et du système de l’art, un système dont la rhétorique pompeuse l’ennuyait au plus haut point. Avec humour et ironie il mettait à l’épreuve l’arrogance de ce système, il déjouait ses règles, expérimentait d’autres manières de créer, d’autres manières d’intervenir et surtout d’autres façons de se comporter… Il jouait et plaisantait avec le monde de l’art, s’en moquait allègrement et tournait en ridicule les cachets, les collections, les galeries, les galeristes, les vernissages. À cet égard, on peut peut-être inscrire l’artiste dans la tradition de ce que Pierre-Michel Menger appelle « l’avant-garde moqueuse et ironique1 1 -  Pierre-Michel Menger, Profession artiste. Extension du domaine de la création, Paris, Textuel, 2005. », avant-garde qui englobe les artistes dans la tradition de Marcel Duchamp, de Dada et de leurs successeurs : Schwitters, Cage, Warhol, Hirst, etc. Reniant la tradition classique qui faisait de l’art le moyen privilégié de s’élever au-dessus du banal, ces artistes se sont amusés à le réduire au rang d’objet trivial, notamment en lui faisant subir les pires outrages.

Ludiques et critiques, les œuvres de Mathieu Lefèvre jouaient elles aussi avec le langage et plus particulièrement avec le langage de l’art pour créer des effets humoristiques souvent cinglants et irrévérencieux, toujours intelligents. Les pièces I don’t get it (2008) ou Art about art I dont understand art (2009) par exemple, sont des critiques évidentes du caractère autoréférentiel et souvent superfétatoire de l’art contemporain. Elles témoignent surtout d’une distance assumée de l’artiste par rapport à un monde qui trop souvent l’ennuyait dans ses tentatives de se prendre au sérieux. Lefèvre ne se prenait jamais au sérieux.

Fabien Loszach, Mathieu Lefèbvre
This article also appears in the issue 74 - Reskilling
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