Nous les indigné·e·s

Sylvette Babin
They tell you we are dreamers. The true dreamers are those who think things can go on indefinitely the way they are. We are not dreamers. We are awakening from a dream that is turning into a nightmare. 
 — Slavoj Žižek, Occupy! Scenes from Occupied America

Le dossier Indignation a d’abord été motivé par une interrogation. Dans le contexte mondial où se multiplient les crises financières, les inégalités sociales et les différentes formes de répression et de dictature, où de plus en plus de citoyen.ne.s sortent dans les rues pour manifester leur colère, comment les artistes s’indignent-ils et elles? De cette interrogation aurait pu naître un dossier sur les nouvelles figures de l’activisme et de l’art engagé, ravivant par le fait même les débats entre un art dit pamphlétaire et « l’art pour l’art ». Mais il nous semblait plus urgent de rappeler que les artistes sont avant tout des citoyen.ne.s. Si certain.e.s décident, de façon ponctuelle ou récurrente, d’exprimer leur indignation par le truchement de l’art, d’autres choisissent surtout l’action politique et prennent part aux manifestations populaires. Pour cette raison, plutôt qu’une analyse des codes esthétiques d’œuvres engagées, nous avons souhaité nous attarder aux différents motifs d’indignation et aux stratégies employées par les artistes et les citoyen.ne.s pour signifier leur mécontentement.

Au printemps dernier, le Québec est aussi entré dans une crise sociale inédite. Initiée par la mobilisation des étudiant.e.s contre la hausse des frais de scolarité imposée par le gouvernement en place, la grève s’est transformée en un mouvement populaire qu’il est maintenant convenu d’appeler le « printemps érable ». L’ampleur des manifestations qui en ont découlé et l’implication d’une partie de la communauté artistique dans les débats nous ont incités à ouvrir le dossier avec une analyse de cette crise étudiante – notamment de ses signatures visuelles – et à en faire l’objet de notre portfolio, teintant partiellement ce numéro d’une couleur québécoise.1 1 - La présence récurrente du désormais célèbre carré rouge incite à rappeler son origine, qui remonte au 5 octobre 2004, lorsque les membres du Collectif pour un Québec sans pauvreté, en réaction à un projet de loi sur l’aide sociale (loi 57), se sont présentés à l’Assemblée Nationale du Québec en arborant un carré rouge « en signe d’indignation devant la manière du gouvernement d’enfoncer davantage des gens qui sont dans le rouge ». pauvrete.qc.ca. Mais les sources d’indignation sur l’ensemble de la scène internationale sont nettement plus nombreuses et étroitement liées, par ailleurs, à des situations socioéconomiques et politiques qui ont des répercussions différentes, souvent plus graves, pour chacune des communautés concernées. Par conséquent, les exemples provenant du Québec, du Canada, de la Russie, de la Syrie, de la Grèce et de la Chine, principaux pays à l’origine des textes publiés ici (auxquels s’ajoutent les États-Unis, le Mexique, le Moyen-Orient également cités), nécessitent sans contredit une lecture contextuelle.

En dépit des différences entre ces événements et les formes d’expression choisies pour les commenter, quelques similitudes et plusieurs affinités demeurent. Le soulèvement populaire massif en est l’exemple le plus flagrant. L’humour est également récurrent (ou l’ironie, ou le cynisme), comme on le voit dans les slogans étudiants, sur les affiches de l’École de la Montagne Rouge, dans les performances des Pussy Riot, ou chez Ai Weiwei dansant le Gangnam Style. L’espoir, aussi, en la société et en la démocratie, et la conviction qu’il est possible, par la prise de parole et par l’action, de faire changer les choses. Ce dossier, bien que très humble en regard de la diversité des indignations qui auraient pu être relevées, met en lumière quelques exemples de ces manifestations d’artistes et de citoyen.ne.s indigné.e.s. Parmi eux et elles figurent, ne l’oublions pas, les auteur.trice.s qui, à travers le choix et l’analyse de leur sujet, expriment leurs propres préoccupations :

« S’il y a en effet un signe d’espoir soulevé dans Alexis, s’il y a un désir de mettre en doute le sens de l’économie au sein de nos démocraties, cet espoir ne peut se maintenir au niveau de l’indignation. […] Et si l’indignation semble avoir aujourd’hui une priorité, elle ne doit pas se transformer en résignation. Elle doit plutôt passer par la réflexion et se transformer en combat pour la dignité. » (Paré, p. 39)

« Dès lors, pour nous, l’indignation ne constitue que l’étape de la prise de conscience, le germe d’action de protestations qui, elles, nous occupent vraiment. L’indignation impose l’action, idéalement l’action libératrice. » (Charron et St-Gelais, p. 6)

Si nous avions à nommer une dernière caractéristique des indigné.e.s, dont le nombre s’accroît chaque jour un peu plus dans le monde, il s’agirait probablement de leur solidarité, qui fait que la voix de chaque individu porte un peu plus loin et que s’étend, peu à peu, le cercle des éveilleur.euse.s de conscience.

Sylvette Babin
Cet article parait également dans le numéro 77 - Indignation
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