Nous avons pourtant bien essayé, mais c’est impossible. Nous regrettons. Nous aurions bien aimé.

Johanne Chagnon
Nous ne comprendrons jamais les motivations humaines. En effet, pourquoi, ici comme un peu partout sur la planète, procède-t-on selon un modèle économique destructeur et incompréhensible ? Pour encourager la consommation, on décourage avec taxes et surtaxes. Pour créer de l'emploi, on met du monde à pied...

La richesse d’une société, c’est d’abord l’individu, non l’argent. Même selon une logique strictement économique, une telle attitude est vouée à la perte : quand il n’y aura plus personne pour «consommer», qu’arrivera-t-il du système ?

Aujourd’hui, la souveraineté appartient aux grands créanciers mondiaux, non aux peuples. Dire que c’est dans un tel contexte que nous allons peut-être acquérir notre «souveraineté»…

Malgré tout — il faut la faire.

Et dire que ce sera (peut-être) avec un parti au pouvoir qui persiste à se foutre du milieu culturel. Répétition et déjà vu : on peut sans problème reprendre telle quelle une partie de notre éditorial du numéro précédent et ne changer qu’un nom pour l’actualiser : remplacer le nom de Jacques Parizeau par celui de Louise Beaudoin comme ministre de la Culture. Et — c’en devient lassant — continuer à s’interroger : quand Louise Beaudoin est à la fois responsable du dossier linguistique, ministre des Affaires intergouvernementales canadienne (poste accaparant par les temps qui courent) et membre du Comité des priorités du gouvernemetn, comment peut-elle prétendre pouvoir s’occuper à temps plein du poste de ministre de la Culture ? Mystère !

Malgré tout, ça ne nous empêche pas, nous de Esse, de fonctionner avec presque rien. Mais on aurait aimé qu’on démontre au moins un peu plus de respect, en nommant par exemple une ministre de la Culture à temps plein.

Avec le dossier du présent numéro, nous entreprenons une tournée des régions du Québec. Projet qui se révèle hautement politique en cette période référendaire : il faut se connaître pour se reconnaître. Les gens de l’Abitibi-Témiscamingue — sujet de ce premier dosier — fascinent par le défi que représente la pratique d’un art actuel dans une région «excentrique». Notre dossier, de quarante pages, livre un aperçu vivant de cette région : une vingtaine de personnes — magie de l’écriture — s’y animent, dialoguent, rient, commentent, critiquent…

On sentait depuis la création du CALQ une forte tendance à l’élitisme. On vérifiera ce pressentiment dans ce dossier. Comment peut-on sciemment scier la branche sur laquelle on est assis ? À Esse, nous persistons dans notre volonté d’être positifs, mais les circonstances rendent cette tentative fort difficile par moments. Heureusement nous avons rencontrés des gens convaincus, qui résistent et qui parviennent à créer, dans le milieu, une vie culturelle plus qu’intéressante.
Être en Abitibi ou n’importe où ailleurs au Québec n’a jamais empêché quiconque d’entretenir des liens avec l’extérieur. Dans la chronique RÉSEAU, créée pour l’occasion, Jocelyn Fiset nous parle du Festival d’art vivant à Paris auquel il a participé. Les liens abondent dans ce «texte-réseau» : en plus de traiter d’un événement qui relie des intervenantes et intervenants de plusieurs pays, dont certains avaient déjà participé à un événement du même type en Russie — et dont Jocelyn fiset nous avait déjà parlé dans Esse no 23 —, ce texte rappelle un autre article parut dans Esse no 21, sur les possibilités d’ouverture pour un artiste à Paris, fait un lien avec le titre de notre dossier no 24 («Il en existe toujours…Nous en avons rencontré»), et compare les manières québécoise et française, comparaison fort pertinente vu la structurite aiguë qui marque le Québec. Mais surtout, ce texte fait état de façons intéressantes qu’ont adoptées certains artistes pour s’organiser dans un monde surchargé d’objets.

Avec son article sur Cy Twombly dans la chronique NEWYORKITÉS, Renée Lavaillante prend parti pour le dessin — sa propre pratique — car, nous écrit-elle, «ça manque dans le paysage», le dessin étant d’habitude placé «derrière» la peinture. Ici, dans le texte comme dans l’oeuvre analysée, c’est plutot le contraire.
Dans la chronique COMMENTAIRES, Sylvie Raquer se pose plusieurs questions en tant qu’artiste qui a choisi l’enseignement des arts comme travail alimentaire : est-il possible de combiner les deux carrières ? elle a interrogé des personnes qui ont privilégié l’une ou l’autre de ces carrières. Que fera Sylvie elle-même ? C’est à suivre puisqu’elle vient tout juste de se dénicher un emploi dans l’enseignement…
Depuis que nous avons décidé d’intervenir plus directement sur la scène politique, comme en témoigne la rubrique ACTION POLITIQUE du numéro précédent et de celui-ci, nous n’avons pas eu le choix du sujet : consultation pré-référendaire l’autre fois, consultation en arts visuels cette fois-ci. Il est curieux, tout de même, que ces consultations qui se succèdent nous accaparent et nous empêchent de réagir à autre chose… Stratégie consciente de la part du gouvernement ?

Quant à la consultation en arts visuels qui fait l’objet de notre présente action…Nous ne sommes sans doute pas les seuls dans le milieu des arts à le dire, mais nous avons un besoin viscéral d’émettre ce cri : PAS ENCORE UNE CONSULTATION ! après les mémoires pour le rapport Arpin, les mémoires pour l’élaboration de la politique culturelle, et quoi encore !? Quand on ne nous parle que de coupures ! il y a quelque chose de profondément choquant à se faire convoquer (sur papier à lettre imprimé en deux ou trois couleurs) à une rencontre, dans un chic bureau au 15e étage de la Place d’Armes, par des gens bien payés pour cela, et de se faire demander, à nous qui tenons notre projet à bour de bras, où le gouvernement devrait couper dans le domaine des arts visuels ! Le contexte actuel nous laisse supposer que c’est le motif caché de cette consultation menée en langue de bois1 1 - Langue de bois : jargon composé de clichés, spécialement conçu pour camoufler la vérité, employé surtout en politique et en affaires pour définir les mandats des ministères et des entreprises qui veulent réduire leurs services et qui désirent anesthésier l’auditoire le temps qu’il faut pour tirer leur coup et s’esquiver en douce..

Il y a un mot pour qualifier ça : INDÉCENCE

Nous espérons seulement avoir tort, et que cette consultation en vaudra la peine. Nous sommes obligés de jouer le jeu, de faire entendre notre voix (qui n’est pas de bois). Le groupe-conseil n’a, quant à lui, qu’un pouvoir de recommandation. Même si on est pas contents de la barque, c’est la barque qu’on nous a donnée. On aura au moins fait en sorte qu’il y ait un semblant de consultation, au lieu de laisser tout se décider par des fonctionnaires, sans lever le petit doigt. Par ailleurs, la méthode de rencontre préliminaire des organismes culturels, fort cocasse, tenait du confessionnal : l’un après l’autre, et au suivant!

On pourra lire les recommandations que Esse a fait parvenir à ce groupe-conseil dans la chronique ACTION POLITIQUE. Les mesures concrètes que nous proposons pourraient être un moyen d’éviter, par la bande, l’attribution des bourses par jury — mode de fonctionnement souvent remis en question. Ce serait alors à l’artiste, ayant ainsi acquis quelques facilités dans sa pratique, à se faire reconnaître, à trouver son public… C’est une idée encore embryonnaire, et qui soulève quelques objections : ainsi, une personne qui voudrait éviter l’impôt pourrait se déclarer artiste et voilà ! Mais cette idée mérite réflexion.

Dans le DOSSIER SUITE, le feuilleton Les enclos prend cette fois une autre allure… et plus d’espace. En effet, l’épisode du numéro précédent ayant suscité des réactions, on pourra lire une lettre du RAAV et une réaction de la part d’un de ses conseillers juridiques. La chronique GOSSAGE occupe également plus de pages. décidément, les gens en ont à dire ! Dans cet Alzheimer social de Paul Grégoire, nos deux moineaux entreprennent la dure tâche, en 1995, de créer une oeuvre d’art…Les précédents épisodes du Chien de Sagres, la BD produite par Denis Lord (scénario) et Luis Neves (dessin), nous avait montré Vincent dans le train qui le mène de Berlin à Sagres (Portugal), alors qu’il pensait au Québec et se rappelait lorsque lui et d’autres avaient monté en Gaspésie une pièce de théâtre de Laure qui s’inspirait, pour le texte, de l’histoire du Québec selon Léandre Bergeron. Dans le présent épisode, le groupe, maintenant à Montréal, se retrouve pour visionner le vidéo de la pièce.

Deux textes plus DOCUMENTés complètent ce numéro. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on peut lire des textes en art ancien dans Esse. Nous sommes toujours curieux des aspects méconnus de notre histoire, même si ça suppose de côtoyer l’Église catholique et ses oeuvres. Dans «Une Pietà à Montréal au XIXe siècle : Foi, engouement et “miracles”», Bernard Mulaire aborde une oeuvre d’art dans son contexte, dans ce cas-ci le contexte québécois et particulièrement montéralais, dans les années 1850 : le climat de misère urbaine qui prévalait à cette époque et que l’Église — qui avait quand même ses propres intérêts — a tenté de soulager en mettant sur pied des secours, ce que l’État ne faisait pas alors. Ce texte soulève également des questions sur notre identité, questions toujours d’actualité, et sur ces valeurs qui nous sont venues d’ailleurs. Et c’est ce qui, curieusement, rattache cet article à un autre texte d’une autre époque et sur un tout autre sujet, soit le 3e épisode de l’article de Johanne Chagnon traitant de la destruction dans la performance québécoise. Pourquoi ces affrontements, ces rejets, ces silences ? Ne pouvons-nous nous accepter tels que nous sommes ? Est-ce le propre du Québec qui, voulant briller sur la scène internationale, se nie une part de lui même ? Tiens, ça ne vous rapelle pas une certaine politique culturelle récente…?

On n’en sort pas.

Johanne Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 27 - Abitibi-Témiscamingue
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