Des œuvres publiques à la refonte de la politique culturelle de Montréal

Johanne Chagnon
À travers ce qui se dit et s’écrit dans notre beau monde des arts visuels, une fois enlevé l’enrobage de plus en plus crémeux des discours, ne reste souvent qu’un certain vide dans ces propos concernant l’art actuel québécois. C’est un peu comme si on tournait autour du pot sans oser y toucher; comme si on n’osait pointer le moindre aspect particulier aux productions d’ici.

La constance de cette tournure de réflexion ne peut qu’étonner. Quelle est la raison de cette attitude, par trop généralisée dans le discours critique, de ne pas considérer l’art québécois de façon spécifique? Curieusement et dans un même souffle, on n’hésite pas à citer en exemple l’art italien, l’art allemand,… Ou, encore, on a pu lire dans la parution du 31 décembre 1988 du journal Le Devoir que 1988 avait été une année d’accomplissements parce que Michel Goulet a été le premier «Canadien-français» à représenter notre beau pays à la Biennale de Venise. Quoi? De toute une année d’activités sur le territoire québécois, rien d’autre n’aurait été digne de mention en priorité? C’est aberrant!

Sans doute, le lien le plus étroit qui unit les diverses instances de notre système, dans cette ère de gestion de l’art que nous traversons, rend désuète toute prise de position. Mais il n’en reste pas moins que pendant qu’on louche vers ce qui se trame dans la constellation prétendument internationale, on se tient en même temps la main sur la bouche. Il est inconcevable de vouloir déposséder les individus de leur propre langage.

Dans un tel contexte idéologique, ESSE croit qu’il est urgent de faire entendre d’autres voix, de rendre compte des diverses facettes du système artistique québécois : sans prétention et en invitant tous ceux et celles qui sont intéressé-e-s à ce projet …et même à le critiquer!

Qu’avons-nous déniché pour ce douzième numéro de ESSE?

Pour rendre plus évidente notre politique éditoriale, chaque parution présentera dorénavant un article fouillé creusant un aspect ou l’autre de notre contexte socio-politique et culturel préoccupant le domaine des arts visuels. Ces recherches devraient passionner autant les intervenants-e-s concerné-e-s que le public intéressé. Pour ce numéro, André Greusard a mené une véritable «enquête Jobidon» afin de donner suite à son intervention parue dans ESSE 11 concernant le sort réservé aux sculptures réalisées pour Terre des Hommes en 1967. Le résultat présente un aspect fort désolant : c’est comme si on feuilletait un album de disparus… André a profité de l’occasion pour analyser du même coup la politique culturelle de la Ville de Montréal et plus particulièrement ce qui a trait aux sculptures publiques. On peut ainsi entrevoir ce qui se cache derrière les discours politiques qui s’étalent en grosses lettres dans les médias. Informé-e-s, nous pourrons mieux intervenir dans ce dossier qui nous concerne à un niveau vraiment immédiat. Cet article pourrait être adressé à l’administration municipale en tant que recommandations à mettre au dossier de l’avenir culturel de Montréal. Il permet également de reprendre un des sujets abordés lors de la table ronde que nous avions organisée et retranscrite dans le no 11. Les intervenant-e-s rassemblé-e-s pour cette occasion avaient discuté, entre autres, des positions de Montréal et de Toronto en tant que métropoles culturelles. On avait alors revendiqué un meilleur appui au développement culturel de Montréal. Il nous est donc possible de jeter un coup d’œil sur ce qu’il pourrait en être.

La chronique Montréalités continue à offrir des critiques d’événements ponctuels présentés à Montréal. Bernard Mulaire n’hésite pas à pointer un aspect bien connu de notre système artistique mais aussi très camouflé : le réseau social. Il en traite à propos d’une initiative individuelle : une exposition hors institution, mais aussi l’expérience d’un groupe de nouveaux Montréalais (ex-Anglo-Canadiens) qui cherchent à s’intégrer à Montréal, attirés par la différence de sensibilité.

Il n’y a pas que les arts visuels dans la vie! Certaines disciplines pourtant actives souffrent d’un manque flagrant de diffusion. Pour tenter de combler un tant soit peu cet espace vacant, Jean Patry traite ici d’un événement en danse et André Greusard d’une manifestation en musique contemporaine. L’approche de ces domaines autres, pour ESSE, pose inévitablement le problème de la recherche des critères appropriés à ces disciplines : acquérir les outils d’analyse adéquats pour comprendre et évaluer la pertinence de ces productions.

Une autre facette apparue dernièrement dans le système actuel est le art coaching : il est ici abordé par le biais d’une entrevue réalisée par Donald Goodes avec Marie France Thibault, créatrice de ce service. Il se dégage des propos de cette «infrastructure artistique» une volonté de préserver l’autonomie des créateur-e-s (la fameuse différence!) face aux stratégies de diffusion, afin d’éviter l’uniformisation de la pratique artistique.

Par ailleurs, Sonia Pelletier nous rappelle les avantages d’entretenir des relations avec des pays autres que ceux du circuit qui se prétend international. Ainsi, des échanges avec le Mexique peuvent être enrichissants : faire réfléchir à notre propre situation. Pierre Vinet traite du travail récent de l’artiste Danielle Hébert. Il en examine la question de l’autobiographie et du rapport à l’intimité, comme particularités d’un art féministe.

Anne Bénichou a analysé le discours critique québécois traitant de l’installation à travers une revue en particulier : Parachute. Cette étude constate qu’entre 1977 et 1988, un consensus s’est établi autour de ce terme. Le résultat devient un exemple frappant, et même inquiétant, de la contribution de l’institution dans la définition d’une pratique artistique, ce que justement M. F. Thibault (sans être la seule non plus!) dit vouloir éviter. Ce travail de définition des termes amène celui de définition des critères : questions qui méritent la réflexion; questions que nous soulevions plus haut à propos du discours possible dans des disciplines autres que les arts visuels.

ESSE n’a pas seulement le nez collé sur le présent mais demeure consciente de la continuité historique. André Laberge souligne un aspect oublié de l’ouverture à la modernité au Québec en nous faisant mieux connaître l’architecture montréalaise, ignorant-e-s que nous sommes souvent de certains aspects de notre environnement immédiat. Alors que c’est actuellement la pâmoison devant la «merveille» architecturale qu’est le Musée des beaux-arts du Canada, il n’est pas mauvais de rappeler les péripéties politiques qui ont mené à sa réalisation, ce que fait Marie-Josée Therrien dans la première partie d’un article en deux temps inscrit à la chronique Muséologie.

Quant à ceux et celles qui attendaient fébrilement la suite de la bande dessinée Cité solitaire parue dans notre numéro précédent …eh bien, patience! Luis Neves s’est égaré quelque part au Portugal, mais devrait nous en envoyer la suite pour le prochain numéro.

Enfin, la chronique Opinion (notre chronique «cri du cœur») fait ici écho au dossier principal traitant de sculptures publiques. Pour parler d’œuvres publiques, encore faut-il justement qu’elles le soient… publiques! Paul Grégoire relate son expérience personnelle et celle d’autres artistes avec le programme d’Intégration des arts à l’architecture et formule certaines recommandations pour rendre ce programme plus efficace. Cette chronique continue d’être le lieu d’expression de ce qu’on voudrait taire : pointer les carences du système actuel. Elle est ouverte à tous (ohé! ohé!) mais curieusement, ce sont des artistes qui s’y sont exprimés jusqu’à présent… tiens! tiens!

ESSE s’affirme davantage comme une tribune critique du milieu et de la pratique artistique au Québec.

Mission hurlements. Pas de panique.

Johanne Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 12 - La politique culturelle de Montréal
Découvrir

Suggestions de lecture