Trouble-fête un jour, trouble-fête toujours

Sylvette Babin
Avec ce numéro, notre désir était de clairement marquer notre 25e anniversaire sans pour autant produire un ouvrage commémoratif, ­choisissant ainsi de nous pencher sur le présent plutôt que de ressasser le passé. Célébrer le présent ? Soit, mais célébrer quoi, en 2009 ? Outre le ­sentiment de satisfaction face aux actions accomplies, souligner un anniversaire implique aussi un surcroît de travail et d’investissement – le volume de cette édition en faisant foi – et ce, sans ­ressources ­supplémentaires. Face à une crise qui n’est pas sans affecter les ­secteurs culturels, le désir de faire la fête se fait moins fort. Qui plus est, ­comment se réjouir lorsque nos dirigeants retirent progressivement et ­sournoisement leur appui à la culture1 1  - Impossible de passer sous silence, outre les importantes coupures dans une dizaine de programmes culturels – c'était il y a un an en août –, la politique obtuse de Patrimoine canadien en matière de financement aux magazines culturels, menant récemment à un retrait de leur appui financier à esse. ? La célébration prend alors des tournures plus amères ou plus cyniques. C’est donc sous l’enseigne de l’anti-fête que esse souligne ses 25 ans. 

La double thématique trouble-fête et killjoy (rabat-joie) nous est apparue comme le lieu idéal de cette manifestation. D’un point de vue citoyen, nous affirmons notre positionnement critique face à la ­multiplication des célébrations qui tendent à se perdre dans des ­considérations de plus en plus triviales ; tandis qu’à titre d’organisme culturel, nous clamons notre indignation devant le désengagement de l’État en matière de culture. En tant qu’éditeur, nous voulons ­surtout ouvrir nos pages à des réflexions engagées sur le sens de la fête. À cet effet, nous avons réunis 11 auteurs dont nous apprécions tout ­particulièrement les écrits. Certains sont de fidèles amis et collaborateurs de la revue, d’autres publient ici pour la première fois. Ils ont été invités à se pencher sur les thèmes de la fête et de la célébration, ainsi que sur la commémoration, souvent inhérente à l’anniversaire. Dans ces essais, la fête sera tantôt explorée pour en souligner le potentiel rassembleur, tantôt pour en pointer certains aspects déceptifs. Nous verrons notamment qu’elle possède un pouvoir critique que plusieurs artistes ont pris le parti d’exploiter, tandis que d’autres priorisent plutôt la réactivation du festif dans l’art, la fête pour la fête. Différentes formes de commémorations sont également analysées, critiquant au passage le devoir de mémoire qui tend parfois à édulcorer le présent. Les œuvres et les actions qui en découlent – reconstitutions, mémoriaux ­éphémères, monuments spontanés ou anti-monuments – font état de la ­multiplicité des formes possibles, et mettent de l’avant certaines tentatives de ­préservation de la mémoire dans le monument, qu’il nous a semblé ­pertinent de questionner.

En plus des essais, nous publions un imposant portfolio ­réunissant 14 artistes dont les 20 œuvres répondent particulièrement bien à la ­thématique, soit par la facture utilisant les ­différents codes de la fête, par la portée commémorative évoquant le ­monument ou l’anti-­monument, ou encore par l’approche critique ou ironique usant des stratégies du trouble-fête. Par ailleurs, Michel F. (T.) Côté qui dans sa chronique Affaire de zouave a toujours relevé le défi d’écrire à partir de nos thématiques, nous propose cinq règles à adopter pour troubler une fête. À l’image de esse, trouble-fête un jour, trouble-fête toujours.

Mais soyons francs. Au delà du titre volontairement ironique et ­provocateur et de nos diverses manifestations critiques, Trouble-fête souligne tout de même la longue présence de esse sur la scène ­artistique. Après tout, ce 25e anniversaire est aussi le constat de notre engagement ­durable envers l’art actuel. Cet engagement n’aurait pas eu la même portée sans l’appui de nos partenaires financiers et surtout de notre ­lectorat. La progression de esse au fil des ans, nous la devons aussi à nos nombreux collaborateurs qui, l’espace d’un numéro, d’une année, voire d’une ou deux décennies, ont contribué au succès de la revue. À vous tous, nos sincères remerciements. 

Sylvette Babin
Cet article parait également dans le numéro 67 - Trouble-fête
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