Tammi Campbell, Vir Heroicus Sublimis, vue d’installation, Blouin Division, Toronto, 2018. Photo : permission de l'artiste & Blouin Division, Montréal & Toronto
Tammi CampbellVir Heroicus Sublimis, 241,3 × 541 cm, vue d’installation, Blouin Division, Toronto, 2018.
Photo : permission de l'artiste & Blouin Division, Montréal & Toronto

De l’abstraction entre guillemets

Patrice Loubier
« Abstractions » : cette marque du pluriel est significative ; elle neutralise d’emblée la tendance toute moderne à considérer l’abstraction comme la forme d’expression la plus « vraie » et la plus aboutie de la peinture parce que prétendument fidèle à son médium. Une telle conception, héritée d’un modèle d’histoire linéaire orientée vers le progrès, ne prévaut certes plus. Mais le terme « abstraction » la traine encore dans son sillage, tant les affirmations péremptoires de cette conception ont longtemps ponctué son histoire, des manifestes de ses débuts jusqu’aux années 1960 avec les positions dogmatiques de Clement Greenberg ou d’Ad Reinhardt.

En contrepoint de cette doxa, je m’intéresserai ici à des œuvres et à des pratiques dans lesquelles de l’abstraction se manifeste… sans en être tout à fait. Répliques de tableaux de Frank Stella, d’Agnes Martin ou de Barnett Newman, les peintures d’Elaine Sturtevant, d’Evelyn Taocheng Wang et de Tammi Campbell présentent de facto un aspect non figuratif ; toutefois, ce trait formel ne découle aucunement d’une démarche spécifiquement abstraite, contrairement à celles de leurs prédécesseurs. On découvre plutôt chez elles une forme abstraite qui s’affirme à titre de duplicata d’une œuvre préexistante repeinte par l’artiste, et non à titre de création visuelle originale. Une telle approche de la peinture dite du modernisme tardif ne participe pas tant de l’abstraction à proprement parler que d’un retour sur celle-ci, plus ou moins critique selon les cas et caractérisé par une prise en compte de facteurs sociopolitiques ou culturels antithétique à l’autonomie visée par le modernisme.

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Image de la couverture du numéro Esse 114 Abstractions.
Cet article parait également dans le numéro 114 - Abstractions
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