Trust 

Catherine Cyr
Schaubühne Am Lehniner Platz (Berlin/Amsterdam), Festival TransAmériques, Montréal,
Les 26 et 27 mai 2011
Trust, 2011.
photo : Heiko Schäfer, permission du Festival TransAmériques, Montréal
Des duos qui se brisent. Des corps qui, sans fin, tournoient, vacillent, s’écroulent sur la scène. Investissant tout l’espace scénique – immense structure ouverte évoquant un loft à l’abandon –, les protagonistes de Trust, un mélange homogène d’acteurs et de danseurs, expriment à tra-vers le corps mille petites fins du monde. 

Présentée en ouverture de la cinquième édition du Festival TransAmériques, cette envoûtante oeuvre de danse-théâtre, chorégraphiée par Anouk Van Dijk et mise en scène par Falk Richter, explore en mots et en mouvements quelques zones d’effon-drement. Conçue à partir d’improvisations autour du motif de la perte de confiance des Occidentaux envers le système capitaliste, conséquence de la crise financière sismique de 2009, la pièce étend cette perte de confiance à d’autres sphères de la vie, mêlant l’intime et le politique. Ainsi, en présen-tant une suite de tableaux tantôt poétiques, tantôt crus qui entremêlent finement séquences dansées, chantées et dialoguées, Trust brosse le portrait abrasif d’une « ère du soupçon » généralisé où chacun doute du discours de l’autre, soit-il notre représentant bancaire, notre collègue ou notre amoureux. Car les relations amoureuses, éphémères, truffées de secrets et de demi-vérités n’échappent pas, ici, à la crise de confiance qui mine chacun des personnages, pourtant en quête d’authenticité.

Si le texte, répétitif, progressant par boucles spiralées, n’est pas toujours à l’avenant des saisissantes performances chorégraphiques des interprètes, il est néanmoins traversé de quelques fragments frap-pants, donnant à entendre toute la désillusion et la perte de désir, de rêve, inhérentes au marasme actuel : « Avant, je voulais changer le monde ; maintenant, j’essaie de trouver une place de stationnement », lance ainsi, stoïque, l’un des personnages. Lassé de tout, surtout des bonheurs factices que procure l’argent – les jeunes femmes achètent des t-shirts Prada à l’effigie de Che Guevara (!) –, chacun fait du sur-place, car même chercher refuge à l’étranger ou dans les bras d’un nouvel amoureux ramène, en définitive, au point de départ. Explorant la répétition-variation des pas-sages textuels et des mouvements, la pièce, par le ressassement continuel des paroles et des images, accentue l’impression d’« immobilité fébrile » où tout, des systèmes économiques et sociopolitiques aux relations humaines, semble tourner à vide. Par une judicieuse exploitation de la simultanéité des actions scéniques, qui rappelle un peu l’esthétique des chorégraphes-metteurs en scène Alain Platel et Jan Lauwers, et une ges-tuelle qui explore le chaos et l’antinomie des mouvements, Falk Richter et Anouk Van Dijk élaborent un univers scénique singulier, où la morosité et le désabusement se nouent à la beauté du fracas.

Catherine Cyr, Falk Richter
Cet article parait également dans le numéro 73 - L’art comme transaction
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