Triennale Banlieue! Là où se prépare le futur

Dominique Sirois-Rouleau
Salle Alfred-Pellan, Maison des arts de Laval, Laval
Du 29 juillet au 4 novembre 2018
Marc-Antoine K. Phaneuf, Spleen, 2018.
Photo : Guy L’Heureux
Salle Alfred-Pellan, Maison des arts de Laval, Laval
Du 29 juillet au 4 novembre 2018
Seconde édition de la triennale Banlieue!, Là où se prépare le futur examine les pôles utopiques et dystopiques de l’espace suburbain. Milieu de vie et lieu de transition, la banlieue définit autant un territoire qu’un modèle économique. Elle est plurielle et singulière, une culture unique émergeant d’une concentration diversifiée de cultures. Là où se prépare le futur rassemble donc une pluralité de pratiques dont les perspectives critiques se voient habilement mises en valeur par les dialogues orchestrés par les commissaires. Ces rencontres d’œuvres proposent non seulement un regard renouvelé sur les discours des artistes, mais concrétisent aussi la proposition générale du projet. Sans promouvoir un avenir nécessairement ou implicitement meilleur, Là où se prépare le futur présente une actualisation des codes, mythes et usages de la banlieue.

Espace hybride et ambivalent entre l’urbanité et la nature, la banlieue ne ressemble pourtant à aucun de ces environnements. Elle est plutôt une zone tampon, un lieu de passage que saisit l’installation sonore du duo Béchard Hudon. La structure de plexi, de tôle et de contreplaqué de La singularité du banal (2018) donne à entendre la réalité sonore spécifique de la banlieue. Intéressés par les espaces de transitions et de raccordements des déplacements principalement motorisés, les artistes interceptent les bruissements et vrombissements sourds de la banlieue. Si notre oreille semble distinguer ici et là le chant d’un oiseau, l’expérience retient néanmoins la froideur industrielle du son. L’île aux mouettes (2018) de Catherine Bolduc recoupe cette dualité identitaire de la banlieue sous une perspective plus sensible et autobiographique du sujet. L’installation composée d’objets trouvés sert un théâtre d’ombres évoquant les souvenirs d’enfance de l’artiste. Les mouvements de l’eau et silhouettes d’oiseaux incarnent alors une nature fantasmée magnifiée par la mémoire tendre des lieux. Le domaine naturel devient un espace de projection plus imaginé qu’effectif. Au-delà des premières impressions romanesques s’esquisse la perspective mélancolique de la dissolution ou du recul de la nature dans l’espace suburbain.

Loin du préjugé d’un milieu statique ou figé, Là où se prépare le futur met en lumière les fluctuations et les transformations de la banlieue. General Motors, Ste-Thérèse (The End) (2004) d’Emmanuelle Léonard représente par exemple, à travers la fin traumatique de l’industrie automobile au Québec, le déclin d’un certain mode vie. Cette série de photos, comme les dessins d’Eveline Boulva d’ailleurs, captent sous des allures documentaires le deuil d’une ère dorée de la banlieue. La dépossession des ouvriers syndiqués de GM démontrée par Léonard fait écho au repli des zones naturelles devant l’inexorable déploiement suburbain illustré par Boulva. Ces propositions dépassent cependant le simple constat d’échec ; la facture presque didactique des œuvres devient un appel à réinventer nos pratiques et usages de l’espace. La courte vidéo de Robert Hamilton abonde en ce sens d’une métamorphose du tissu social de la banlieue. L’artiste associe la passivité de la conduite automobile et des trajets quotidiens aux discours du philosophe Donald Hoffman sur l’expérience consciente. Le monologue récité sur fond de routes enneigées de Unconscious Agent (2017) manifeste les contradictions de la banlieue entre la pratique interne de ses habitants et la vision qu’en ont ceux qui lui sont extérieurs. Sans départager le vrai du faux, Hamilton évoque plutôt les changements aussi factuels qu’imperceptibles de l’environnement suburbain.

Catherine Bolduc
L’île aux mouettes, 2018.
Photo : Guy L’Heureux

Cette modification progressive du visage de la banlieue passe notamment par l’immigration représentée entre autres par Far-Away (2014) de Parisa Foroutan. La vidéo montre les déplacements d’un papillon de nuit sur une fenêtre donnant sur une cour verdoyante typique de la banlieue. La perspective déformée, près d’un effet œil de poisson, amplifie l’illusion d’un éden utopique et inaccessible. Tenu à l’écart de l’espace vert, dompté et ordonné, l’insecte apparait comme le seul protagoniste naturel et vivant de cette promesse de confort. Cependant, l’opulence et l’agrément ne sont pas toujours garants de sécurité et d’aise. Comme le démontre le livre de Mahmoud Obaidi, les objets les plus simples et rudimentaires peuvent devenir des agents de réconfort. La série Compact Home (en cours depuis 2003) rassemble, dans un ouvrage fragile, les objets trouvés par l’artiste durant son parcours migratoire d’Irak jusqu’à la banlieue canadienne. Tels les artéfacts de son existence, les objets portent son identité en transition. Les artéfacts prennent chez Julie Lequin une dimension plus humoristique, alors qu’ils matérialisent les clichés et une certaine hypocrisie du mythe banlieusard. Les sculptures et la carte qui composent Cartographie du Manoir (2018) troquent l’attente déçue d’interaction humaine pour une autofiction du voisinage de l’artiste. Les anecdotes, perceptions et inventions composent une fable cocasse où l’espionnage ordinaire comble l’illusion de proximité du quartier.

L’observation extérieure et les rencontres impossibles suggèrent un usage spécifique de l’espace suburbain où le soi et l’autre semblent se croiser que par façade ou véhicule interposé. En ce sens, la déambulation solitaire préfigure comme motif récurrent dans Là où se prépare le futur. Les propositions de Henry Tsang et du collectif Marion Lessard sont à ce propos les plus éloquentes. Tsang encercle son spectateur avec quatre projections vidéos de façades des quartiers résidentiels de Los Angeles et de Beijing dont les nombreux emprunts esthétiques architecturaux uniformisent ces banlieues séparées de plus de 10 000 km. La conformité et la constance du paysage suburbain se doublent d’une déconcertante absence de vie. Les voisinages représentés étonnent par leur inertie. Si la vitalité de la banlieue se voit ainsi mise à mal par Orange County (2003-04), Rue Fernando-Pessoa, Laval (2018) propose néanmoins une piste d’explication. L’installation vidéo des Marion Lessard alterne les vues de façades homogènes avec celles des intérieurs personnalisés de sorte que l’environnement standardisé se présente comme un canevas pour l’expression de la singularité. L’originalité discrète du soi est accentuée par la déambulation où le protagoniste solitaire varie à chaque écran et extériorise en fait les variations autrement contenues de l’identité sur le décor neutralisé de la banlieue.

Les performances théâtrales de Juliana Léveillé-Trudel insufflent à Là où se prépare le futur la présence humaine nécessaire à ce portrait de la banlieue. Les récits rassemblés et performés pour Enfabulation (2018) donnent une voix et un visage au sujet suburbain plus examiné dans cette exposition pour son territoire que pour ses habitants. Ces performances scéniques mettent toutefois en lumière le regard particulièrement rétrospectif d’un projet inspiré par la préparation du futur. Spleen (2018) de Marc-Antoine K Phaneuf illustre enfin cette tension entre la vision d’avenir de cette seconde triennale et les vues nettement antérieures des artistes. Inspirée de ses errances d’adolescent banlieusard, la murale présente un texte de l’artiste peint sur une immense photo noir et blanc d’un espace domiciliaire détruit. L’appel clair à l’émancipation par l’action du texte de Phaneuf conclut Là où se prépare le futur comme une exhortation à passer de la préparation aux actes.

Les partenaires pour cette édition de la Triennale sont : Art Mûr, Avatar, Bibliothèque Émile-Nelligan, La Pépinière | Espaces Collectifs, Réseau ArtHist et Verticale — centre d’artistes.

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