Tasman Richardson, Kali Yuga

Dominique Sirois-Rouleau
Arsenal art contemporain, Montréal
Du 17 septembre 2019 au 20 mars 2020
Arsenal art contemporain, Montréal
Du 17 septembre 2019 au 20 mars 2020
En collaboration avec la commissaire Shauna Jean Doherty, Tasman Richardson présente à l’Arsenal art contemporain l’installation multimédias Kali Yuga. Titrée en référence au dernier cycle du monde hindou, l’œuvre s’apparente à un parcours au cœur de l’ego matérialiste où la mise en scène rigoureuse de l’espace diversifie les perspectives sur le soi et les médias comme présages d’une apocalypse à l’aube de l’éclosion.

D’entrée de jeu, l’écran circulaire de Going Gray projette, par un relais de moniteurs, le visage du spectateur. Le format typique du portrait diffuse une image grossière et granuleuse près des premières images satellites. Le télescopage historique et le décalage temporel du sujet et de sa représentation évoquent l’univers de la surveillance que Richardson accentue par une dépersonnalisation du soi. L’aplanissement du sujet dans l’image est d’ailleurs repris avec The Cave et Ouroboros. Ces seconde et dernière stations réitèrent la mise à distance de la réalité en la dénaturalisant par l’accumulation de projections et d’enregistrements ou en traduisant sa représentation par le son. La sensualité inquiétante de l’une s’oppose à l’approche plus distante et systématique de l’autre. Le point de vue partiellement obstrué de The Cave fait néanmoins écho aux caméras croisées de Ouroboros comme manière de convoquer le spectateur dans l’œuvre. En effet, ces dispositifs autoréférentiels laissent l’interprétation et la déambulation agir comme composantes intégrantes des procédés techniques.

La longue et fine tour de Sands Stand Still se dresse au cœur de l’installation tel un sablier où les grains sont remplacés par des effets statiques sur un écran noir et blanc. Évoquant parfois des constellations d’étoiles, ces pulsions électriques varient leurs styles de formation avec rythme et marquent à chaque changement la fuite du présent. L’évanescence du temps se matérialise ainsi dans toute sa fugacité. Fire and Theft observe cette constante mobilité du temps captant la révolution solaire au moyen de caméras web installées en divers lieux publics. La disposition circulaire des écrans déploie la succession du jour et de la nuit sur une ligne d’horizon encerclant le spectateur de sorte que l’inéluctable course du soleil s’affirme comme seule constante d’un monde agité par sa propre existence. L’effet de surveillance des caméras induit une distance sensible d’avec l’humanité que Sphere of Influence, Circle of Protection désactive en empruntant justement le même dispositif. Les écrans encerclent le spectateur d’extraits de collision de voitures dont l’impact est remplacé par un puissant flash. Amplifiée par les éclats de miroirs disposés en cercle au sol, la lumière éblouissante retourne le trauma vers le spectateur qui, dès qu’il poursuit la scène dans son esprit, n’est plus seulement un témoin. Ces deux espaces panoramiques agissent aux opposés du spectre de la représentation et de la réception, mais s’amalgament cependant dans l’expression de l’ordre naturel, de la vie à la mort.

Suspendu en fin de parcours, un téléviseur diffuse une image brouillée et force, comme ultime présomption d’une conclusion imminente, un regard rétrospectif sur l’image. Le sombre circuit de Kali Yuga met en lumière la réciprocité nécessaire et parfois décalée du sujet à sa représentation. Les images anonymes exultent l’expression d’un soi qui se désincarne à chaque apparition. Tandis que l’identité se dissout dans l’exacerbation de son univers, la présence signifiante du spectateur dans le dispositif artistique invite enfin à prendre acte de l’impermanence de sa trace.

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