Son, mouvement et paysage au Centre d’art de Kamouraska

Kaysie Hawke
Centre d'art de Kamouraska, Kamouraska,
du 18 juin au 5 septembre 2022
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François QuévillonTrainées pyroclastiques, 2019, vue d'installation, Centre d'art de Kamouraska, 2022.
Photo : JF Papillon, permission du Centre d'art de Kamouraska
Centre d'art de Kamouraska, Kamouraska,
du 18 juin au 5 septembre 2022
Sur le thème « son, mouvement et paysage », la programmation estivale du Centre d’art de Kamouraska réunit trois expositions consacrées au travail de Cynthia Naggar, de José Luis Torres et de François Quévillon. Interrogeant notre rapport au monde naturel, les œuvres présentées participent à la déconstruction d’une approche dualiste de la nature, l’opposant à la culture, et de la mise à distance inhérente au paysage.

Calfeutrée dans sa propre salle, l’installation Ils ont regardé la mer ! (2016) de l’artiste Cynthia Naggar nous invite à basculer de notre posture d’observateur ou observatrice, à laquelle semble pourtant nous associer le titre de l’œuvre, à celle d’interlocuteur ou interlocutrice. À l’aide d’un capteur de fréquence cardiaque que l’on fixe sur son oreille, on se retrouve plongé·e au sein d’une projection audiovisuelle au cours de laquelle le mouvement des vagues tout comme le son du vent s’ajustent à notre pouls. L’on se surprend rapidement à tenter de moduler sa fréquence cardiaque, à ralentir la respiration – phénomène de rétroaction biologique (biofeedback) auquel s’intéresse notamment l’artiste. Il s’agit de mesurer certaines fonctions ou caractéristiques organiques autrement invisibles et souvent inconscientes (tels les battements de cœur ou la tension musculaire) afin de les rendre tangibles et d’encourager leur modulation et la relaxation. La réinterprétation des informations biologiques recueillies comme un rythme océanique, un souffle atmosphérique et un doux murmure de vagues constitue autant une façon de se sensibiliser aux changements subtils et idiosyncrasiques qui témoignent de notre présence que de se conscientiser à l’égard de l’environnement dans lequel nous nous trouvons. En engageant cet échange entre soi et la mer, l’artiste nous invite à outrepasser la distanciation propre à la notion de paysage et à nous réinsérer dans le monde qui nous entoure.

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Cynthia Naggar
Ils ont regardé la mer !, 2016, vues d’installation, Centre d’art de Kamouraska, 2022.
Photos : Mia De Bonis, permission du Centre d’art de Kamouraska

En parallèle avec cette incursion symbiotique dans le monde naturel, l’exposition Format paysage (2022) de José Luis Torres interroge l’artificialité du paysage en proposant un parcours déambulatoire interactif que les visiteurs et visiteuses sont encouragé·e·s à s’approprier. Occupant l’entièreté de la pièce qui lui est réservée, l’installation consiste en une structure architecturale de contreplaqué peuplée de chaises, de tables et d’autres meubles épars aux reconfigurations infinies. Les chemins esquissés par les plateformes de bois mènent à de grands tableaux colorés en aplat aux tons emblématiques de la région. La distribution de ces surfaces monochromes rappelle la forme parfois prescriptive de l’aménagement des sentiers pittoresques, dont les points de vue sont déjà fixés pour le randonneur ou la randonneuse. Loin d’évacuer la notion de cadre inhérente à la représentation du paysage, Torres nous invite à prendre conscience des dispositifs architecturaux et culturels qui conditionnent le regard et à nous réapproprier cet espace à travers une approche à la fois critique et ludique.

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José Luis Torres
Format paysage, vues d’exposition, Centre d’art de Kamouraska, 2022.
Photos : Mia De Bonis, permission du Centre d’art de Kamouraska
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L’exposition La Terre en suspens de François Quévillon prolonge à son tour cette interrogation de notre rapport au paysage à travers un corpus d’œuvres qui explore les processus géologiques et l’incidence de l’être humain sur l’environnement. Dans la vidéo Cryptocristallin (2021) et l’impression lenticulaire Pyrocumulus (2021), par exemple, des reconfigurations numériques de phénomènes et de géographies naturelles proposent des perspectives vertigineuses évoquant à la fois des nuées célestes, des processus de cristallisation, des univers microscopiques et des occurrences cosmiques, basculant d’un horizon à l’autre selon le point de vue de la personne qui regarde. Ces systèmes rhizomatiques de sens esquivent une approche univoque de l’image perçue et invitent à une contemplation toujours renouvelée. Cet éclatement de la perspective culmine dans l’œuvre de réalité virtuelle Érosions (2022). À partir d’images prises par des drones de divers littoraux, incluant la région de Kamouraska, l’artiste recompose ces espaces liminaires entre terre et mer dans une immersion pixellisée et interactive. Les déambulations et les gestes des participant·e·s, ainsi que les bruits de l’espace environnant, multiplient les variations de l’expérience virtuelle, permettant une exploration inusitée du littoral propre à chaque individu. D’autres projets, dont l’œuvre générativeTrainées pyroclastiques (2019), touchent subtilement aux problématiques environnementales liées à l’activité humaine, comme l’exploitation minière dans la Sierra de Santa Catarina, au Mexique, chaine de volcans d’où l’on extrait le tezontle, une roche volcanique aux teintes rouges caractéristique de l’architecture mexicaine. En illustrant une lente accumulation de cette roche sur un fond noir et sa dissolution en pixels, l’artiste fait référence à l’émergence volcanique de ce minéral tout comme à la progression sempiternelle des procédés d’extraction. Exercice à la fois contemplatif de la matérialité du tezontle et critique des conséquences de son exploitation, l’œuvre habite ces deux registres avec aisance et pertinence.

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François Quévillon
Érosions, vue d’installation, 2022.
Photo : Mia De Bonis, permission du Centre d’art de Kamouraska
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François Quévillon
Pyrocumulus, capture d’écran, 2021
Photo : Mia De Bonis, permission du Centre d’art de Kamouraska

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