Pierre Henry, Concert couché, Théâtre de l'Alhambra, Sigma 3, 1967.
photo : © D.R. Archives municipales de Bordeaux

Le 25 octobre 1965 s’ouvre à Bordeaux la première édition – qui sera suivie de presque trente autres – de Sigma, semaine de recherche et d’action culturelle, titre révélateur de la dynamique prospective de la manifestation. Dans la situation actuelle où l’on cherche à réécrire l’histoire de l’art récent en décloisonnant les lieux et les médiums, l’exposition du CAPC fait redécouvrir l’extraordinaire ouverture du festival Sigma, qui rassemblait, bien loin de Paris, Londres ou New York, des artistes, des chorégraphes, des troupes de théâtre, des musiciens issus du jazz ou de la musique contemporaine, sans oublier les graphistes qui confectionnaient ses incontournables affiches. Parmi les invités de son créateur Roger Lafosse, les spectateurs ont pu voir et écouter au fil des années Miles Davis, Pierre Henry, Karlheinz Stockhausen, le Living Theater, François Morellet, Jean-Jacques Lebel, Lucinda Childs, Bartabas, Grand Magasin… et aussi le Groupe Untel, Pierre Pinoncelli que l’on redécouvre dans le contexte du festival.

Réitéré à chaque édition, ce foisonnement est très perceptible dans le vaste espace de la nef du CAPC, bien qu’ayant constitué une gageüre pour les co-commissaires (Charlotte Laubard, directrice du CAPC, Agnès Vatican, directrice des Archives municipales de Bordeaux, et Patricia Brignone, commissaire invitée) qui ont consacré une année entière au dépouillement de la documentation. Se posait tout particulièrement le problème d’exposer de l’art vivant à partir d’archives qui n’ont rien d’œuvres d’art, étant en effet constituées de documents fortuits, photos de presse, reportages radiophoniques ou extraits d’actualités régionales télévisées. Différence notoire par rapport aux festivals récents, Sigma n’a pas été photographié ni filmé par Roger Lafosse qui n’a apparemment pas éprouvé le besoin de conserver des traces pérennes. Aussi, dans l’optique de se placer au plus près de « ce que Sigma aurait fait aujourd’hui » (Charlotte Laubard), l’option curatoriale retenue a été d’articuler trois modes de présentation : un parcours à partir de documents mis en relief par les commissaires autour de thématiques majeures dans l’histoire de Sigma (par exemple, la cybernétique et le lien art-science), la possibilité de consulter, avec l’aide d’un archiviste, l’intégralité du fonds documentaire légué par Roger Lafosse à la Municipalité de Bordeaux et l’organisation d’évènements quotidiens, notamment sur une scène aménagée pour l’occasion. Des spectacles ont été organisés, mais aussi des rencontres avec des témoins, artistes ayant participé au festival ou proches de Roger Lafosse. Grâce à ces entrées multiples, l’exposition parvient à transmettre l’esprit de Sigma, dont la mission initiale était de faire jouer à l’art un rôle social, moins par des actions politiques que par la puissance esthétique des œuvres, capables de transformer les individus. Si aujourd’hui la portée de l’art semble amoindrie, notamment à cause de la perte de spontanéité des évènements culturels, sans parler de l’industrie culturelle qui gravite autour, qu’un tel festival ait été possible fait encore rêver. 

Vanessa Morisset
Vanessa Morisset
Vanessa Morisset
Cet article parait également dans le numéro 81 - Avoir 30 ans
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