PARACHUTE: The Anthology ; The Contemporary, the Common: Art in a Globalizing World

Katrie Chagnon
Chantal Pontbriand (éd.), 4 vol., Zürich, JRP/Ringier et Dijon, Les presses du réel, 2012-2014

Chantal Pontbriand, Berlin, Steinberg Press, 2013, 456 p.

Cinq ans seulement après l’interruption controversée des activités de Parachute en 2007, sa directrice et cofondatrice, Chantal Pontbriand, réaffirme son autorité éditoriale en faisant paraitre en anglais une imposante anthologie de textes couvrant les vingt-cinq premières années d’existence (1975-2000) de cette revue-phare de l’art contemporain canadien et international. Doublant le corpus des Essais choisis publiés en 2004, PARACHUTE: The Anthology se décline en quatre volumes regroupant au total 48 articles classés par domaines disciplinaires : I. Museum, Art History and Theory (2012) ; II. Performance & Performativity (2013) ; III. Photography, Film, Video, and New Media (2014) ; IV. Painting, Sculpture, Installation, Architecture (à venir). En apparence contradictoire avec le programme critique que s’était fixé Parachute, le choix de cette catégorisation conventionnelle est justifié par une double visée didactique et historique. Les éditeurs ont voulu en effet produire un outil de référence accessible et utile à la recherche qui, grâce à la juxtaposition chronologique des textes à l’intérieur de chaque volume, mettrait en évidence le rôle joué par la revue dans la définition des grandes lignes d’évolution artistiques contemporaines.

D’une indéniable portée historiographique, cette anthologie traverse donc un quart de siècle de discours sur l’art caractérisé par l’émergence de nouvelles pratiques ainsi que par de profondes transformations sur les plans théorique et méthodologique. Dans un même mouvement, elle retrace le parcours singulier de Parachute, revue dont le bilinguisme stratégique – qui est souligné sans être adopté dans la présente publication – a permis de positionner Montréal au carrefour des traditions européenne et américaine en favorisant le développement d’une perspective transnationale et interculturelle. Cela dit, il est clair que nous avons affaire ici à un récit autorisé, raconté par celle qui fut la tête pensante et dirigeante de cet important organe de réflexion. On ne s’étonnera pas, en ce sens, que parmi les principaux acteurs de ce récit, figurent les plus éminents contributeurs à la revue : pensons par exemple à Douglas Crimp, Thomas Crow, Hal Foster, Reesa Greenberg, Georges Didi-Huberman, Thierry de Duve, Serge Guilbaut, Laura Mulvey, ou encore à des théoriciens québécois tels que Johanne Lamoureux et le regretté René Payant, pour ne nommer que ceux-ci.

Dans la foulée de ce projet rétrospectif, Pontbriand a également rassemblé une sélection de ses propres écrits rédigés entre 2000 et 2011, dans le but cette fois de mettre en avant sa contribution intellectuelle en tant qu’auteure. Adressé au même lectorat anglophone par l’entremise de la traduction, le recueil The Contemporary, the Common: Art in a Globalizing World propose de reconstituer les développements récents d’une démarche auctoriale ayant pour ambition explicite d’éclairer notre contemporanéité à la lumière des enjeux artistiques du nouveau millénaire. Sur le plan chronologique, l’ouvrage s’inscrit donc à la suite de Fragments critiques (1978-1998) (1998) et de Communauté et geste (2000), deux livres plus modestes – publiés ceux-là en français – dans lesquels l’auteure établissait un premier bilan de sa pratique d’écriture jusqu’en 2000, année charnière dans l’histoire de Parachute qui publiait alors son 100e numéro.

De sa production textuelle de la décennie suivante, Pontbriand a retenu 36 essais, articles monographiques, éditoriaux, commentaires d’expositions, entretiens et conférences portant sur diverses pratiques, telles que la photographie, l’installation, la performance, la danse, l’art relationnel, le cinéma et la vidéo. Ce corpus hétérogène s’articule, à l’intérieur du volume, autour de trois grands axes thématiques : premièrement, l’« être-ensemble » ou l’idée de communauté, qui permet d’ouvrir un dialogue entre l’art et la philosophie contemporaine, celle de Jean-Luc Nancy, Jacques Derrida et Giorgio Agamben, en particulier ; deuxièmement, le phénomène de la mondialisation de l’art, auquel renvoient les concepts de « ville émergente », de « plaque tectonique » et de « table tournante » ; troisièmement, l’extension des frontières artistiques examinée au regard de ses implications esthétiques, critiques, éthiques et politiques.

Si le premier recueil met en scène une éditrice visionnaire engagée dans le renouvèlement du discours sur l’art, le second nous force à reconnaitre chez Pontbriand une critique d’art éclaireuse dotée d’une remarquable acuité théorique. En témoignent, d’une part, ses références constantes aux grandes figures de la pensée contemporaine, de Georges Bataille à Jean-François Lyotard et de Hannah Arendt à Gilles Deleuze, en passant par Maurice Blanchot, Walter Benjamin, Vilém Flusser, Ludwig Wittgenstein et Julia Kristeva, notamment ; d’autre part, le nombre impressionnant d’artistes de renommée internationale qu’elle a soutenus à travers sa carrière. Jeff Wall, Douglas Gordon et Philippe Parreno, Carsten Höller, Shirin Neshat, Yvonne Rainer, Rirkrit Tiravanija, Lars von Trier et Rosemarie Trockel ne constituent, de fait, qu’un mince échantillon du vaste corpus d’analyse exploré par cette auteure aux intérêts esthétiques manifestement très variés.

Au-delà de son apport pertinent dans le domaine de la documentation en art contemporain, la réalisation conjointe de ces deux anthologies n’est pas sans soulever la question de l’autoconstruction de la figure « Chantal Pontbriand ». En effet, l’entreprise autoréflexive par laquelle Pontbriand met simultanément en valeur ses deux identités d’éditrice et de critique d’art atteste clairement de sa volonté de prendre en charge l’historicisation de son œuvre, c’est-à-dire d’en construire elle-même la postérité. Ce qu’elle nous livre aujourd’hui peut même être considéré comme une sorte d’autobiographie intellectuelle en deux volets ; un moyen pour elle de se positionner dans l’histoire de l’art et des idées. En somme, cette collection d’ouvrages lui permet de rétablir la cohérence de son travail, d’en orienter l’interprétation en vue d’une meilleure intelligibilité globale et de veiller ainsi à sa réception, présente autant que future.

Katrie Chagnon
Katrie Chagnon
Cet article parait également dans le numéro 83 - Religions
Découvrir

Suggestions de lecture