Création Dans la Chambre, Combat, tiré du spectacle Message personnel, 2013.
photo : J’D’M Photo
Création Dans la Chambre, Montréal
du 19 au 30 mars 2013
Le privé est politique. La formule de Simone de Beauvoir pourrait très bien être la devise de l’auteur et metteur en scène Félix-Antoine Boutin. En effet, le directeur artistique de la compagnie Création Dans la Chambre, diplômé de l’École nationale de théâtre en 2012, a placé la riche dialectique entre le privé et le politique, l’intime et le collectif, au cœur de sa démarche. Afin de renouveler le propos, Boutin est prêt à sortir des lieux de représentation traditionnels et à convier les disciplines les plus diverses, du ballet au karaoké.

Le prolifique créateur – à qui l’on doit aussi Koalas et Le sacre du printemps – présentait en mars dernier, dans son propre salon, un spectacle intitulé Message personnel. La pièce de théâtre à domicile s’adressait chaque soir à une dizaine d’esprits aventureux. Librement inspiré des Larmes amères de Petra Von Kant, l’œuvre de Fassbinder, le texte était livré en alternance par un tandem de femmes et d’hommes. Marie-Line Archambault et Juliane Desrosiers-Lavoie défendaient brillamment la version féminine. Drôle et tragique, un brin kitsch, bercée par Françoise Hardy et Nicole Croisille, la relation amour-haine qui unit les deux sœurs évoque à la fois Les bonnes de Genet, Le grand cahier de Kristof et les premiers films d’Ozon. Vous l’aurez compris, on se régale !

Le théâtre de chambre accueille un face-à-face chargé de mystère, de dérision et de poésie. Pour exister aux yeux des autres, les sœurs s’avèrent prêtes à tout. De la fillette à la femme, leur émancipation sera tellurique et cosmique, parfois dégradante, mais toujours haute en couleur. Dans cette série d’épreuves, il s’agira souvent de séduire. De plaire à sa sœur. De plaire à sa mère. De plaire à un homme. De plaire au spectateur, qu’on n’hésite d’ailleurs pas à interpeller par son nom. Puis, vient le moment de s’imposer : « Tu ne sembles pas très réceptif, pas très “reconnaissant” des efforts que je fais pour toi. Des honneurs que je te porte. Tu ne sembles pas accueillir la chose avec grandeur d’âme. Hé bien, je vais te l’enfoncer comme un poing dans la gorge, mon âme. »

Truffée de formules irrésistibles, mais surtout de saisissantes preuves de la fragilité psychique des protagonistes, la partition a de quoi rendre extatique le plus blasé des psychanalystes. Les comédiennes mordent dans les mots à belles dents, en plus de jouer très habilement de leur proximité avec le spectateur. Nous sommes chez elles, dans leur salon, sur leur territoire, cela ne fait pas de doute. S’il arrive à pareil résultat avec des moyens financiers quasi inexistants, on n’ose pas imaginer ce que Boutin va nous pondre dans le futur.

Christian Saint-Pierre, Création Dans la Chambre
Cet article parait également dans le numéro 79 - Reconstitution
Découvrir

Suggestions de lecture