Mathieu Beauséjour, Être gouverné

Stéphanie Dauget
Eponyme Galerie, Bordeaux,
du 31 octobre 2013 au 31 janvier 2014
Mathieu Beauséjour, Être gouverné, vue d’exposition, Eponyme Galerie, Bordeaux, 2013.
photo : permission de Eponyme Galerie, Bordeaux

En résidence au Studio du Québec à Londres de juillet à décembre 2013, Mathieu Beauséjour profite de sa venue en Europe pour nous offrir une exposition monographique à la galerie qui le représente à Bordeaux. Être gouverné s’inscrit dans un projet qui anime l’artiste depuis plusieurs années déjà, élaboré à partir d’une sémiologie tant mythologique que contemporaine du soleil : « Le soleil allait devenir l’archétype d’un vide qui engouffre, qui se consume tout en étant resplendissant. L’image du soleil est symboliquement somptueuse, inépuisable et effrayante. » (Mathieu Beauséjour, Le soleil mon œil, 2013)

Aux prises avec une fascination fertile pour l’imminence du pire, Beauséjour exécute ici sa nouvelle révolution : celle qui consiste à tourner autour d’une figure allégorique si puissante qu’elle peut contenir tout l’or du monde et son chaos le plus total. L’artiste s’investit d’un protocole gestuel entièrement tourné vers l’économie de moyens, une sorte d’épreuve occupationnelle riche de son caractère absurde et du vide temporel qu’elle génère. Ce processus de travail produit une usure singulièrement créative pour son auteur qui s’inspire des emblèmes héraldiques et des guillochis de billets de banque pour mener une étude autour de la ligne noire et de sa patiente répétition. À l’instar des motifs hachurés dans les gravures anciennes, Beauséjour instaure un code de traduction de la couleur par le dessin noir. Ce système d’enchevêtrement des lignes met en jeu à la fois une recherche sur les effets d’optique et une représentation sophistiquée des symboles de pouvoir et d’argent.

Lors de l’exposition, l’environnement blanc, vide et lumineux de la galerie est mis en perspective par les éléments soigneusement choisis d’une trame narrative en suspens. L’étincelle d’un gong d’or qui retentit (To be governed, 2012), la béance obscure du vinyle gravé qui tourne en silence (Icarus, 2010), la série infinie de lignes noires qui convergent toutes vers un néant irradiant (Acéphale, 2011, Order vs Chaos, Power balance II, Influence et Collusion, 2013), le métissage des médiums et des codes dans les œuvres de Beauséjour, autant que leur circonvolution autour du même astre catalyseur de toutes les peurs et convoitises, prédisent pour notre civilisation contemporaine un destin assimilable à la tragédie icarienne. Dans sa quête avide de puissance, l’empire capitaliste qui régit notre monde rencontrera le mythe, se brûlant les ailes au soleil de ses ambitions démesurées. La lumière confrontée à son versant le plus sombre, la précision de l’œil associée à l’extrême lucidité d’un regard, et le rythme obsédant des rayons noirs en flottaison dans l’espace incarnent sans équivoque l’éblouissante culminance qui précède la chute.

Mathieu Beauséjour, Stéphanie Dauget
Cet article parait également dans le numéro 80 - Rénovation
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