Du 30 au 31 mai 2016
La metteure en scène Gisèle Vienne est connue pour travailler des univers noirs mêlant théâtre, marionnettes, danse et littérature. Ces dernières années, on a pu voir sur les scènes montréalaises Jerk (La Chapelle, 2010) et Kindertotenlieder (Usine C, 2014) des pièces dont les thématiques sont la violence et la mort. The Ventriloquists Convention, réalisée en collaboration avec l’ensemble The Puppentheater Halle, met en scène neuf marionnettistes. Le spectacle prend comme contexte dramatique la réunion de ventriloques lors d’un congrès, inspiré de la convention internationale ayant lieu chaque année au Kentucky. Cette petite communauté colorée permet de sonder les paradoxes et limites de la ventriloquie, non sans dérégler aussi au passage les codes et conventions du théâtre.
Le spectacle est déjà commencé lorsqu’on entre dans la salle. Des comédiens sont en scène avec leur marionnette, discutant entre eux, cigarettes et tasses de café à la main. Chaque ventriloque arrive en scène jusqu’à ce qu’ils forment une galerie hétérogène : le jeune adolescent avec sa Muppet un peu informe, le rockeur avec une réplique de Kurt Cobain, la bourgeoise avec une marionnette d’antan ou encore l’artiste expérimental avec son coussin animé. La réunion a lieu dans une salle de conférence au mobilier industriel le plus banal. C’est au cœur de cette scénographie d’un réalisme implacable que s’ouvre le congrès. Le ton est divertissant et exubérant en surface – près de l’image populaire des spectacles de ventriloquie –, mais l’humour cru révèle peu à peu les tensions cachées entre les protagonistes. Devant ce rire de plus en plus grinçant, la temporalité aussi se dérègle peu à peu et le quatrième mur finit par tomber. Tout s’arrête et on bascule pour un moment dans la narration intérieure des personnages. L’illusion théâtrale est rompue : le congrès prend fin, et le spectacle emprunte alors une tangente qui s’éloigne des conventions réalistes. Le spectacle se poursuit dans les coulisses du congrès.
À travers un jeu mêlant humour noir et réalisme désenchanté, The Ventriloquists Conventioninterroge la relation à la marionnette sous ses multiples facettes. La marionnette apparaît par moments comme une entité autonome humanisée, et à d’autres moments, comme étant sous l’emprise du ventriloque. Qu’il s’agisse de révéler un désir sexuel ou une violence enfouie, les marionnettes exposent au grand jour les pulsions cachées des ventriloques. C’est à travers ces êtres à la fois incarnés et désincarnés que l’interdit est chaque fois transgressé. Plus le spectacle avance, plus les rapports de domination entre la marionnette et le ventriloque sont instables et changeants, plus les situations sont chargées d’émotion. Le manipulateur peut devenir le manipulé. Par le truchement de leur récit personnel, on comprend la relation complexe qu’ils entretiennent avec leur marionnette, plus souvent qu’autrement destinée à combler un manque. C’est l’isolement, l’abandon ou la perte d’un être cher qui les a conduits chacun à leur façon à la ventriloquie.
Quant au texte, le collage littéraire signé par Dennis Cooper orchestre les multiples voix et rôles endossés par les marionnettes. La mise en scène vient appuyer cette composition chorale en figeant l’action sur scène où un protagoniste isolé prend la parole. Le spectacle multiplie les mises en abyme et le spectateur doit constamment se repositionner face à ce qui se passe sur scène. Les propos mêmes des marionnettes et des ventriloques sur leur identité multiplient quant à eux les zones troubles entre fantasmes et réalité.
Fidèle à ses thèmes de prédilection, Gisèle Vienne explore le rapport entre le vivant et le non-vivant dans sa dimension antagonique en liant l’érotisme et la mort. The Ventriloquists Convention est donc un spectacle qui interroge sans relâche l’illusion théâtrale par le biais des marionnettes et de ceux qui leur donnent vie. Cette petite communauté bigarrée de ventriloques permet de voir, au-delà de la solitude et de la marginalité de chacun, la possibilité d’être ensemble à travers une purgation fantasque qui rejoint les énergies d’un théâtre de la cruauté.