Clément de Gaulejac Image tirée de son livre Les artistes, Le Quartanier, 2017.
Photo : permission de l'artiste
Marie J. Jean est professeure au Département d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal
Au cours du confinement provoqué par la pandémie, le monde s’est subitement arrêté. Le temps a été suspendu, ou du moins notablement ralenti, de manière à nous sortir de la cadence effrénée qui rythmait jusqu’alors notre quotidien. Un nouveau cadre, restreint au domicile, a bouleversé notre travail, notre temps de loisir et nos activités sociales. L’art, le cinéma, la lecture et la musique ont alors joué une fonction sociale indispensable en nous procurant plaisir et intensité ou en donnant à réfléchir. Nous avons alors pleinement pris conscience que la culture est non seulement porteuse de sens en temps de crise, mais qu’elle représente un véritable moteur économique pour notre société en plus d’employer un nombre considérable de personnes. Or, le confinement a aussi mis en évidence la vulnérabilité économique et les inégalités sociales qui existaient déjà dans le secteur culturel, sans compter ses effets dévastateurs sur les artistes. Les arts visuels, y compris les multiples formes d’expression apparentées à ce domaine, n’échappent pas à ce triste constat. L’occasion de pallier ce problème systémique se présente puisque la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, a entrepris de réviser la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs et a déposé à l’Assemblée nationale, le 27 avril 2022, le projet de loi 35. Ce projet de loi doit être adopté avant la fin des travaux parlementaires et la dissolution de l’actuel gouvernement en prévision de l’élection provinciale, qui se tiendra cet automne. Il nous semble aujourd’hui nécessaire de faire un bref retour sur les bienfaits et les lacunes de l’actuelle loi et de formuler certaines recommandations à la lumière du fait qu’en 2022, les artistes des arts visuels sont plus pauvres qu’ils et elles ne l’étaient il y a 10 ans !

L’actuelle loi sur le statut professionnel des artistes

Adoptée au Québec en 1988, cette loi visait pour l’essentiel à établir des conditions de reconnaissance du statut des artistes professionnel·le·s et de leurs associations, en plus d’encadrer leurs relations contractuelles avec les diffuseurs. Avant son adoption, les artistes et les auteur·e·s étaient désavantagé·e·s, sur le plan contractuel, dans leur rapport de force avec les producteurs et les diffuseurs. Le juriste Ghislain Roussel résume la situation qui prévalait alors : « Les contrats n’existaient pas ou, lorsque c’était le cas, ils n’étaient pas suffisamment explicites ou compris de leurs signataires. Malgré l’existence d’un contrat, l’artiste ne l’a pas réellement négocié ou il n’a pas les ressources pour le faire appliquer et respecter dans la plupart des cas1 1 - Ghislain Roussel, « Une loi pour les créateurs… sur les contrats de diffusion », Les cahiers de propriété intellectuelle, vol. 1, no 2 (janvier 1989), p. 261.. » Il est ici nécessaire de préciser que le droit d’auteur est régi par la législation fédérale et que la loi sur le statut de l’artiste du Québec vise de manière complémentaire à « protéger les titulaires du droit d’auteur dans leurs relations avec les tiers2 2 - Lise Bacon citée dans Georges Azzaria, « Un bilan de la loi de 1988 sur le statut de l’artiste », Les cahiers de la propriété intellectuelle, vol. 27, no 3 (octobre 2015), p. 955, Nous nous référons à ce bilan pour le présent propos.<https://cpi.openum.ca/files/sites/66/CPI-27-3-octobre-2015-25-43.pdf>. ». Autrement dit, la loi fédérale concerne les œuvres, alors que la loi provinciale concerne les artistes dans leur relation avec les diffuseurs et, par conséquent, vise à mieux les protéger en diminuant les iniquités et les déséquilibres qui prévalaient auparavant dans les ententes contractuelles. Cela dit, le contexte décrit par Roussel est encore très actuel et il y a encore beaucoup à faire. La loi provinciale a en effet reconnu le statut professionnel des artistes ainsi que le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) comme la seule association légalement mandatée pour représenter l’ensemble des artistes en arts visuels du Québec. Cette association d’artistes professionnel·le·s a notamment balisé les redevances, c’est-à-dire les revenus tirés des droits d’exposition ou d’autres modalités de diffusion. Toutefois, dans le cadre actuel de la loi, le RAAV ne dispose pas d’un réel pouvoir de négociation qui obligerait les diffuseurs ou les producteurs à conclure des ententes collectives, contrairement aux associations des domaines du cinéma, du disque et de la scène.

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