La réunification des deux Corées

Alain-Martin Richard
Théâtre de la Bordée, Québec,
Du 18 septembre au 13 octobre 2018
Photo : © Pierre-Marc Laliberté
Théâtre de la Bordée, Québec,
Du 18 septembre au 13 octobre 2018
Écrivain de la scène considéré comme une figure majeure du théâtre français, Joël Pommerat, sous la baguette de Michel Nadeau, revient à la Bordée pour une quatrième fois depuis Les marchands, présenté au Carrefour international de théâtre en 2009. Malgré son titre, cette pièce n’a qu’un rapport métaphorique avec la situation politique des frères ennemis coréens, qui justement tentent un timide rapprochement depuis quelques années. L’image symbolique de la réunification illustre plutôt ici les difficultés de l’amour dans toutes ses déclinaisons. En une vingtaine de tableaux, souvent incisifs, toujours très justes, Pommerat décortique cette « maladie hormonale », presque comme une erreur conceptuelle, un évènement improbable.

Neuf comédiens interprètent cinquante-et-un personnages aux prises avec cette chose ambigüe, insaisissable, parfois violente, souvent empreinte de folie, mais toujours déroutante, voire inconcevable, qu’est le sentiment amoureux. « Il n’y a pas d’amour heureux », comme le prétendait Aragon. Dans tous les cas, le propos tragicomique de La Réunification des deux Corées ne parvient pas à devenir « une lumière qui prévient les autres de votre existence » mais plutôt un subterfuge qui mène à la catastrophe. La force de Pommerat réside dans sa capacité à développer une situation à l’aide de quelques traits efficaces. 

Cette femme veut divorcer parce qu’il n’y a jamais eu d’amour. Cette autre ne peut quitter son amoureuse sans reprendre son âme que celle-ci lui a subtilisée. Inversant les rôles, la prostituée s’offre à rabais pour un moment de tendresse. Un couple engage une gardienne pour s’occuper de deux enfants qu’ils n’ont pas, entretenant ainsi l’illusion d’une famille qui serait toute leur vie ; immense malaise de la jeune gardienne. Une femme engloutie par l’Alzheimer recrée sa vie amoureuse lors de chaque promenade avec son mari compatissant. La réunification des deux Coréesn’aura pas lieu parce que le « manque d’amour » est trop important. La communication est ratée, l’une et l’autre ne se comprennent pas, l’imbroglio des situations est flagrant. Ici pointe une forme de démence dont les protagonistes s’accusent mutuellement.

Photo : © Pierre-Marc Laliberté

Malgré quelques tableaux très réussis et malgré l’intrigante présence d’un chanteur qui vient teinter l’atmosphère d’une langoureuse mélancolie, la mise en scène ne rend pas justice à la finesse du texte. Parfois le jeu est trop gros, parfois hors champ. Les liens musicaux, souvent trop criards, créent une distorsion inutile en regard d’une quête amoureuse inassouvie. Par exemple, au comique du mariage avorté s’oppose avec force cette scène de l’instituteur soupçonné d’attouchement sexuel sur un jeune élève, alors qu’il accuse les parents de manquer d’amour pour lui. Puissante scène ou l’amour devient une horreur dans la bouche de la mère. Moments magiques. Étrangement, le manque existentiel, cause des amours avortés, est transposé maladroitement sur scène, n’offrant pas d’autres perspectives qu’une lecture immédiate tracée parfois à gros traits. Tentant de naviguer d’un sketch à l’autre, les comédien.ne.s ont de la difficulté à trouver le ton juste. Espérons que l’équipe parviendra à ajuster le registre pour magnifier le texte de Pommerat et emporter le public dans cette incursion sur le questionnement de l’amour. 

La réunification des deux Corées
Texte : Joël Pommerat. Mise en scène : Michel Nadeau. Assistance à la mise en scène : Amélie Bergeron. Distribution : Ann-Sophie Archer, Emmanuel Bédard, Normand Bissonnette, Gabriel Fournier, Valérie Laroche, Véronika-Makdissi-Warren, Olivier Normand, Sophie Thibeault, Alexandrine Warren. Décor : Véronique Bertrand. Costumes : Julie Morel. Lumières : Caroline Ross. Musique : Yves Dubois.

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