Jean-Pierre Latour, Critique d’art. Voir et comprendre

Patrice Loubier
FRANCINE COUTURE (DIR.), MONTRÉAL, CENTRE DE DIFFUSION 3D, 2009, 280 P.

Malgré l’indéniable vitalité du Québec en arts visuels, trop peu d’essais s’y publient encore sur l’art contemporain. Saluons donc la parution du recueil des écrits de Jean-Pierre Latour, dernier titre de la collection 3D, sous la direction de Francine Couture. On y trouve en effet les articles jusqu’ici dispersés et quelques inédits. Soulignons aussi et surtout le grand intérêt des textes eux-mêmes, qui éclairent l’actualité artistique du Québec et ­constituent un ­captivant ­exercice critique. Ces articles publiés de 1994 à 2005 sont une série d’instantanés d’expositions présentées ­surtout dans des ­centres d’artistes; on peut y revoir ou découvrir des œuvres de Josée Pellerin, Rose-Marie Goulet, Yan Giguère, Marie‑Jeanne Musiol, Manon Labrecque, Serge Lemoyne, André Fournelle, Sylvie Laliberté, Serge Tousignant, pour ne nommer que ceux-là. Si cette énumération suggère déjà l’étendue des intérêts du critique, le recueil n’en révèle pas moins la cohérence des préoccupations récurrentes de Latour, soulignées par les quelques sections de l’ouvrage portant, entre autres, sur la critique d’art, les mutations de la démarche de l’artiste contemporain (sous le thème de l’atelier) et le «rire comme posture critique». 

Au-delà des œuvres abordées, ces textes valent aussi pour la pratique réflexive qui s’y révèle, démarche créative pleinement assumée qui procède aussi d’une exemplaire exigence de rigueur et de clarté. Rarement l’art de la critique au Québec a-t-il donné lieu à prose plus soutenue et plus éclairante, également souple et rigoureuse, prose qui semble découvrir et dévoiler l’œuvre dans le temps même où elle s’élabore comme savoir à son propos. Ainsi, le souci de reconstruire l’œuvre dans le discours comme pour la réexposer au profit du lecteur explique le soin apporté par Latour à la description, peut-être le ressort majeur de son écriture : c’est à partir de cette opération clé que s’embraient l’analyse et l’interprétation, et que se reconstitue, au fil du texte, l’aventure de la rencontre avec l’œuvre – que se nouent, pour ainsi dire, le voir et le comprendre. À cet égard, la critique de Latour rejette toute posture normative ou strictement évaluative pour miser plutôt sur le dialogue avec l’œuvre et sur l’expérience (de perception et de pensée) à laquelle invite celle-ci. C’est cette conception de la critique que présentent la préface de Francine Couture et le texte de Monique Langlois qui ouvrent le livre, alors qu’un essai de François Chalifour sur Ulysse en trois temps, opus rédigé de connivence avec des photographies d’œuvres du ­sculpteur Jean-Yves Vigneault, met en lumière la part de ­création spécifiquement plastique et littéraire de Latour.

C’est précisément parce que ce livre nous permet de saisir à nouveau toute l’acuité de son écriture et de son regard que Jean-Pierre Latour, critique d’art. Voir et comprendre apparaît d’ores et déjà comme une contribution de première grandeur à la réflexion sur la critique d’art comme à l’éclairage des ­pratiques artistiques québécoises du tournant du millénaire.

Patrice Loubier
Cet article parait également dans le numéro 68 - Sabotage
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