
Photo : Annick Wetter, permission de l'artiste & du Musée d'art moderne et contemporain, Genève, 2023
du 22 février au 18 juin 2023
Cette première rétrospective sur le sol européen de l’artiste australien Ian Burn, décédé tragiquement en 1993, donne à voir avec justesse toute la complexité d’une pratique et d’une époque. Orchestrée avec soin par la commissaire Ann Stephen, qui a consacré une partie importante de sa carrière à faire reconnaitre son œuvre, l’exposition assume une approche rigoureusement chronologique reflétant les évolutions et persistances formelles, théoriques et politiques de l’artiste. Cette clarté du propos associée à une circulation limpide entre les salles du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (MAMCO) permet une découverte réussie de la singularité d’une œuvre parfois hermétique de prime abord.


Vues d’exposition, Musée d’art moderne et contemporain, Genève, 2023.
Photos : Annick Wetter, permission de l’artiste et du Musée d’art moderne et contemporain, Genève
Cette singularité est sans nul doute liée à un balancement entre, d’une part, les forces centripètes de la mondialisation, qui, dans les années 1960, entrainent Burn de Melbourne à Londres et jusqu’à New York, et, d’autre part, le choix d’un retour définitif en Australie, à la fin des années 1970. Ce mouvement pendulaire n’est pas qu’une affaire géographique. L’exposition montre à quel point l’itinérance spatiale de l’artiste s’entremêle avec un nomadisme artistique : d’un certain modernisme européen, puis étatsunien, au minimalisme, suivi de l’art conceptuel – ce pour quoi il est le plus connu –, d’un art ouvertement politique qui laisse place à un engagement syndical et, finalement, d’une pratique picturale réinventée.
La connaissance intime qu’a la commissaire de l’œuvre de Burn fait de l’exposition un exercice de complexification bien à propos. Ainsi, les peintures ne disparaissent pas avec le tournant conceptuel, linguistique et analytique de l’artiste, notamment amorcé dans une fructueuse collaboration avec Mel Ramsden et le groupe Art & Language. Un certain sens de l’humour et du pas de côté n’est pas évacué par un travail critique puissant.

Vues d’exposition, Musée d’art moderne et contemporain, Genève, 2023.
Photos : Annick Wetter, permission de l’artiste et du Musée d’art moderne et contemporain, Genève

De la même manière, une pièce consacrée aux documents – livres, revues, articles, affiches – réunit des textes théoriques sur l’art et des prises de position politiques très spécifiques, lorsque Burn, de retour en Australie, s’engage dans le syndicalisme et le journalisme. Le rythme de l’exposition nous permet ensuite de découvrir dans un bel espace du musée la partie la plus méconnue de son travail : des peintures ingénieusement associées à des textes, proposant une hybridation enthousiasmante entre approche conceptuelle et pratique picturale, entre visible et dicible, entre enjeux politiques de la cause aborigène et échos d’un modernisme occidental dominant, entre savoir-faire de l’artiste et inventivité spontanée de l’amateur. Ainsi les fils déroulés depuis le début du parcours se tressent dans un réel exercice de décentrement formel, théorique et culturel qui dépasse les simplifications d’une dichotomie centre-périphérie.

Vue d’exposition, Musée d’art moderne et contemporain, Genève, 2023.
Photo : Annick Wetter, permission de l’artiste et du Musée d’art moderne et contemporain, Genève
En outre, grâce aux formidables ressources du MAMCO, le cheminement au sein de l’exposition nous amène à traverser la reconstitution de l’appartement de Ghislain Mollet-Viéville, soutien de l’art conceptuel et minimal en France dès le tournant des années 1970, qui replace des œuvres de Burn dans un contexte artistique plus large et évoque les constellations entre artistes, marchand·es, collectionneurs et collectionneuses. Car il ne s’agit pas de faire de Burn un dissident toujours en mouvement, mais bien de le présenter comme une personnalité singulière qui a su créer des dynamiques collectives pertinentes et dont l’engagement exemplaire, tant artistique que politique, assure toute l’actualité de l’exposition dans les enjeux du monde contemporain.
Doctorant en histoire de l’art à Sorbonne-Université (Paris) sous la direction de Valérie Mavridorakis, Louis-Antoine Mège est aussi boursier annuel du Centre allemand d’histoire de l’art-DFK (Paris) et ancien assistant de recherche à la documenta Institut auprès de Felix Vogel (Kassel). Son travail doctoral porte sur les transformations de l’œuvre d’Art & Language entre 1972 et 1999.