Gabrielle L’Hirondelle Hill
M*****

Maude Johnson
Contemporary Art Gallery, Vancouver
du 26 mai au 3 septembre 2023
Gabrielle L'Hirondelle HillM*****, vue d'exposition,
Contemporary Art Gallery, Vancouver, 2023.
Photo : Rachel Topham Photography, permission de la Contemporary Art Gallery, Vancouver
Contemporary Art Gallery, Vancouver
du 26 mai au 3 septembre 2023
Intitulée M*****, l’exposition de Gabrielle L’Hirondelle Hill à la Contemporary Art Gallery de Vancouver met en question les conceptions de la maternité associées au mot « mère ». Elle y présente une perspective de la parentalité multiple, non linéaire et plus qu’humaine qui dépasse la binarité. Des motifs variés jalonnent les œuvres – spores, baies, parasites, mollusques, cheveux et autres parties du corps humain – et se greffent à l’expérience située de l’artiste en tant que fille et mère. Elle évoque, à travers ces éléments, divers systèmes de reproduction et de parentalité. Ce nouveau projet s’inscrit dans le vaste chantier de recherche mené par L’Hirondelle Hill sur la filiation.

Baignées de lumière naturelle, deux structures longilignes se dressent tels des champignons dépouillés de leur chair. Elles tanguent légèrement, si bien que leur équilibre semble précaire. Des tiges de métal, provenant pour la plupart de parapluies désarticulés, sont attachées les unes aux autres de façon à créer des dizaines de ramifications où sont suspendues de petites images découpées et des fraises fraiches. Les images sont issues de matériel collecté par l’artiste et de photographies personnelles. J’y aperçois entre autres le visage de Nadya Suleman, cette femme monoparentale qui a donné naissance à des octuplé·es en 2009 et qu’on a subséquemment surnommée « Octomom ». Son expérience de la maternité par fécondation in vitro, qui a fait le tour des médias, est devenue à l’époque un objet de discussion et de débat public, en plus de provoquer une controverse au sein du domaine de la procréation médicalement assistée.

Gabrielle L’Hirondelle Hill
Site Parasite Dice Paradise, 2023, vue d’installation,
Contemporary Art Gallery, Vancouver, 2023.
Photo : Rachel Topham Photography, permission de la Contemporary Art Gallery, Vancouver

Aux portraits de Suleman s’ajoutent une panoplie d’images de tentacules, qui apparaissent par fragments, morcelés et disséminés dans l’espace. Chacun des huit tentacules chez une pieuvre est couvert de plus de 200 ventouses qui ont la capacité de ressentir, de gouter et de sentir leur environnement. Autant de bras sensibles, ainsi raccrochés aux sculptures fongiques, pour entrer en contact, envelopper, prendre soin. La femelle céphalopode pond entre 100 000 et 500 000 œufs, qu’elle suspend à la paroi recouvrant son abri. Au cours de l’incubation, qui dure d’une vingtaine à une centaine de jours, elle cesse de se nourrir, entièrement dévouée au processus. Elle meurt généralement peu après la naissance des petites pieuvres, non pas de faim, mais en raison des sécrétions endocriniennes qui programment la fin de sa vie.

Nommées Site Parasite Dice Paradise (2023) et Octom** (2023), les deux sculptures semblent donner corps à un arbre généalogique. Reprenant les caractéristiques de sa configuration distinctive, elles portent toutefois de vrais fruits – des fraises – aux extrémités de leurs ramifications. La fraise doit son fruit rouge à la fécondation de sa fleur. Il s’agit du réceptacle qui porte les akènes, lesquels contiennent les graines destinées à la reproduction de la plante. La filiation tissée ici entre des éléments pourtant épars et dissonants produit une harmonie éloquente. Malgré son apparente fragilité, l’arborescence métallique supporte une multitude tentaculaire et préserve ce qui y est accroché. Une collection prête à s’envoler comme les semences aériennes d’un arbre si, par hasard, le vent s’engouffrait dans la galerie ; ou à tomber au sol comme un fruit mûr chargé des précieuses graines de sa plante mère.

Aux murs, quatre œuvres alliant dessin et collage teintent la pièce de nuances de baie. Elles sont réalisées à partir d’encre de mures sauvages et présentent chacune un réseau de lignes multidirectionnelles qui reprend la forme de la pellicule cinématographique 16 mm. Curtains (2023) et Fade-out (2023) – cette dernière ayant été réalisée par l’artiste avec l’aide de sa fille à la suite d’une journée de cueillette de mures – montrent des images découpées issues de photocopies de celles qui ornent les sculptures. Composant une longue spirale allongée, des cheveux créent une architecture labyrinthique dans Out of Time (2023). Enfin, Echo Body (2023) est fait de ruban adhésif d’une largeur de 16 mm perforé à répétition par des marques de brulure. Cette série d’œuvres encadrées invite à réfléchir aux concepts de transmission et de circularité, aux temporalités intergénérationnelles et à l’hérédité.

Gabrielle L’Hirondelle Hill
Echo Body, 2023, vue d’installation,
Contemporary Art Gallery, Vancouver, 2023.
Photo : Rachel Topham Photography, permission de la Contemporary Art Gallery, Vancouver
Gabrielle L’Hirondelle Hill
M*****, vue d’exposition,
Contemporary Art Gallery, Vancouver, 2023.
Photo : Rachel Topham Photography, permission de la Contemporary Art Gallery, Vancouver

Elle dialogue habilement avec les œuvres sculpturales, traduisant en deux dimensions les structures squelettiques, tout en faisant écho aux projections adjacentes. Dans l’espace attenant à la galerie fenestrée, l’installation M***** (2023), d’où l’exposition tire son titre, réunit deux films réalisés sans caméra (L’Hirondelle Hill a apposé divers éléments directement sur la pellicule pour produire les images) projetés en boucle sur le mur de la galerie. Devant chaque film repose un projecteur 16 mm planté sur une pile de chaises et agrémenté de chandails et de chaussures ayant visiblement été portés et appartenant à L’Hirondelle Hill et à sa mère. Au moment de ma visite de l’exposition, un projecteur défectueux restreignait l’expérience d’ensemble de l’installation. Les problèmes techniques font à mon sens aussi partie de l’exposition : ils rendent notamment perceptible le travail sur lequel repose la mise en public de la production artistique. Je dois me référer à la brochure de l’exposition pour connaitre le contenu des films, qui montrent entre autres un tissage de soie teint avec des baies, des cheveux et la pellicule cinématographique en elle-même. Les matériaux employés dialoguent avec les collages et les sculptures. Ainsi, la matérialité qui se dégage de l’image vient boucler la boucle, ou déclencher un nouveau cycle.

Autrice, commissaire et consultante en art contemporain, Maude Johnson détient une maitrise en histoire de l’art de l’Université Concordia et un baccalauréat en histoire de l’art de l’UQAM. Dans le cadre de ses projets, elle s’intéresse aux pratiques performatives, critiques et commissariales en explorant les méthodologies, les procédés et les langages au sein de démarches multidisciplinaires.

Gabrielle L’Hirondelle Hill, Maude Johnson

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