Née de la volonté de développer une clientèle de collectionneurs et d’amateurs d’art à Montréal, la foire Papier qui fête son dixième anniversaire ajoute la médiation à son mandat de diffusion, promotion et développement du marché de l’art contemporain. En effet, un programme garni d’activités éducatives variées ancre cette édition de Papier dans une démarche manifeste de démocratisation des pratiques et du champ artistique. Des visites guidées thématiques et des tables rondes soutenues par l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC) et un panel de collaborateurs incluant la DHC/ART, les Éditions esse, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) approfondiront différents enjeux de l’art actuel. Les pistes de réflexions engagées par ce volet éducatif valorisent non seulement le choix du papier comme unique médium de la foire, mais favorisent aussi les connexions et connivences dans ce corpus éclaté rassemblant un peu moins d’une quarantaine de galeries et 300 artistes en plus de trois projets spéciaux.

Initialement convoqué pour ses œuvres de moindre cout, le papier permettait de singulariser la foire d’art contemporain de Montréal devant la compétition internationale. Le papier promet aujourd’hui un discours sur les qualités spécifiques du médium et les innovations qu’il induit à l’ère des technologies et médias. Par exemple, Ed Spence (Franc Gallery) pixellise le mouvement et expose dans We’re Collapsing Endlessly (2015) les limites de l’instantanéité de l’image. Pour réaliser sa sérieMoirés et automoirés de Jocelyn Robert (Galerie Michel Guimont) superpose quant à lui ses propres photos à d’autres identifiées similaires par les algorithmes des banques d’images. Ces jeux autour des traditions de l’image et des apports technologiques manœuvrent un renouvèlement des perceptions qu’on retrouve aussi dans la vaste sélection de photographies issues de pratiques souvent multidisciplinaires telles celles d’Isabelle Hayeur (Galerie Hugues Charbonneau), Anne-Renée Hotte (Galerie Trois Points) ou Dean Baldwin (Parisian Laundry). Papier expose ainsi ces démarches sous un jour différent et incite à de riches rapprochements avec des œuvres établies comme celle de Jana Sterbak (Laroche/Joncas) avec lesquelles elles partagent une tension poétique latente et énigmatique. Les rencontres inhérentes à la foire révèlent aussi des effets de compositions illustrés notamment par l’extrême rigueur de Sidarous An Arc (2016) de Celia Perrin (Parisian Laundry) et le cadrage insolite de Tree Top 11 (2013) de Lise Beaudry (Pierre-François Ouellette art contemporain). Elles incarnent à ce titre une intéressante conversion contemporaine des genres historiques que sont la nature morte et le paysage. 

L’exploration du papier inclut un part de transformation du médium entre autres par le collage. Le projet Switchblade (2016) de Gary Evans (Paul Petro Contemporary Art) offre une série de collages dont la fluidité des formes et des textiles représentés s’organise étonnement selon une grille quasi orthogonale. Le mouvement et l’éclatement des formes et couleurs se mesurent à leur disposition calibrée de sorte que l’équilibre de la composition s’affirme avec une déconcertante précarité. Au cœur de révolution esthétique des avant-gardes, le collage s’allie aussi à l’affiche ou la réclame, parfois, comme chez David Elliott (Joyce Yahouda), à la limite de la sculpture ou de l’installation. On remarque d’ailleurs l’influence dadaïste de Raoul Hausmann derrière Calling Card (2008) de Bäst (Galerie Yves Laroche) qui déconstruit le portrait et la typographie publicitaires. De même, Dame à la clôture (2016) de John Latour (Pierre-François Ouellette art contemporain) évoque avec une touche d’humour Deux enfants menacés par un rossignol (1924) de Max Ernst en laissant l’espace de la représentation empiéter sur celui de la contemplation. 

Ce type de digression à la planéité du médium procure les propositions les plus attirantes de la foire. On pense d’emblée à l’espace immersif du projet Make it great (2017) de Dominique Pétrin (Antoine Ertaskiran), mais aussi à l’installation From Whom You Build (en cours depuis 2014) de Mitch Mitchell (dc3 Art Projects) où la fragilité du papier s’exprime avec grandiloquence. La vulnérabilité du support papier sert aussi le projet Happy Ending (2017) de Natalie Reis (Galerie Trois Points) en fournissant un pendant évanescent et presque suave à la froide et distante chronologie d’enquête. Cette dualité est d’ailleurs au centre la double narration alternant entre le récit impersonnel et technique d’une agression sexuelle et les réflexions intimes de la victime. Pierre Julien (Galerie Nicolas Robert) détourne pour sa part cette délicatesse du médium en troquant le papier pour le plâtre. Il se dégage ainsi de la représentation pour matérialiser les effets de textures de la couleur. Le coin lecture conçu pour le kiosque des Éditions esse par Alexandre David profite de cette même faille dans le thème et substitue au papier sa matière de prédilection. Le bois se fait alors écrin à l’expérience du papier duquel il est aussi la matière première. David soumet une proposition simple et épurée qui devient au cœur de Papier une métaphore de l’évènement. 

Ces propositions inattendues côtoient enfin des approches plus classiques du papier. Le dessin et la peinture sont effectivement comme la photographie largement représentés. I witness news (2017) de Steven Orner (Galerie Bernard) brille à l’ère des fake news par son acuité. La texture rétro de l’image sert une composition inventée en lui donnant des allures documentaires. À l’opposé, Christian Messier (Laroche/Joncas) œuvre à partir de documentation afin d’en extraire l’absurdité et révéler le grotesque de notre condition moderne. Dans cet esprit, l’incontournable de l’illustration et de la bande dessinée underground des années 1980-90, Henriette Valium (Galerie Robert Poulin) présente sa production récente dont les compositions chargées et souvent labyrinthiques se démarquent de l’omniprésente clarté efficace du design. Par la surenchère, l’artiste force un temps d’arrêt et de contemplation comme d’autres, à l’instar de Stéphanie L’Heureux (Galerie Bernard), l’aménagent par une composition épurée, voire dans ce cas-ci un unique trait noir. Cette diversité fait la force de Papier qui mélange sans égard vétérans, Françoise Sullivan (Simon Blais), et recrues, Jérémie St-Pierre (Galerie Michel Guimont), de manière à nourrir le discours et porter la lumière sur les échappés de l’histoire de l’art, Ningeokuluk Teevee (Feheley Fine Arts).

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