Éclipse
Richard-Max Tremblay

Élisabeth Recurt
Musée des beaux-arts de Sherbrooke
du 6 octobre 2022 au 8 janvier 2023
Galerie d'art Antoine-Sirois de l'Université de Sherbrooke
du 26 octobre 2022 au 21 janvier 2023
Richard-Max TremblayÉclipse, vue d'exposition,
Musée des beaux-arts de Sherbrooke, 2022.
Photo : Richard-Max Tremblay, permission du
Musée des beaux-arts de Sherbrooke
Musée des beaux-arts de Sherbrooke
du 6 octobre 2022 au 8 janvier 2023
Galerie d'art Antoine-Sirois de l'Université de Sherbrooke
du 26 octobre 2022 au 21 janvier 2023
Dans le cadre de cette exposition commissariée par Suzanne Pressé et réunissant un projet en deux volets, la Galerie d’art Antoine-Sirois et le Musée des beaux-arts de Sherbrooke présentent une sélection de photographies et de peintures de Richard-Max Tremblay. 

La Galerie propose de nombreux portraits d’artistes, dont on retiendra la captation en intimité, dans leur milieu de travail, en lien avec l’essence de leurs œuvres. En effet, nous prenons connaissance à la fois de certain·e·s artistes et de leurs centres d’intérêt par la présence d’indices de leur pratique : par exemple Manon de Pauw activant les jeux d’ombres provoqués par ses manipulations tangibles et lumineuses ; Geneviève Cadieux posant, à sa propre initiative, devant des arbres des iles de Boucherville pour marquer son intérêt pour la nature ; ou encore Josefina di Candia, dont la longue chevelure se mêle aux lignes aquarellées d’une de ses esquisses pendant qu’elle pose à même le sol, couchée sur le papier.

Josefina_Di_Candia_2014
Richard-Max Tremblay
Josefina di Candia, 2014.
Photo : collection de l’artiste

Au cours des 25 dernières années, Richard-Max Tremblay a réalisé un corpus d’œuvres en équilibre entre réalité et fiction, entre dissimulation et révélation. En observant les portraits et les mises en scène peintes de cette exposition, nous constatons que l’artiste use de stratégies aussi subtiles que diverses dans le but de nous confondre : nous nous immisçons ainsi dans les interstices ménagés entre identité et anonymat, clarté et pénombre, immobilité et dynamisme, proximité et distanciation. Ces dualités sont interprétées autant en peinture qu’en photographie et l’artiste tangue obsessionnellement entre elles, remettant en question tout système inventé par lui-même, testé, corrigé et déconstruit. La précision méthodique avec laquelle il représente les objets tels qu’ils sont pour nous mimer leur présence exacte, ainsi que l’effacement du décor, ne nous permet pas de nous figurer les dimensions : les objets pourraient être minuscules ou imposants. La recherche de finition se fait balayer par un floutage subséquent. Dans les œuvres de Tremblay, l’interstice apparait donc tel un motif tant conceptuel que concret. Laisser deviner qu’il existe autre chose que ce qui est donné à voir et jouer de nos perceptions sont des objectifs essentiels ici. Surpris·e·s par des qualités photographiques et picturales qui s’échangent habilement leurs spécificités (précision et netteté généralement caractéristiques du procédé photographique, gestuelle expressive facilitée par la peinture), nous sommes dans l’incertitude quant aux techniques utilisées et aux sujets offerts. L’essence déstabilisatrice du travail est indicielle de cette valse constante entre apparition et disparition des éléments de contenu des œuvres – visages, objets, éléments naturels –, le concret flirtant avec l’indicible.

Richard-Max-tremblay_Boites#10_2014
Richard-Max Tremblay
Boites #10, huile sur toile, 2014.
Photo : collection de l’artiste
Richard-Max-Tremblay_VillaLaroche_2015
Richard-Max Tremblay
Villa Laroche, huile sur toile, 2015.
Photo : collection de l’artiste

Si la photographie semble matérialiser une preuve, elle n’est pourtant que fiction, soutient l’artiste, puisque l’angle choisi, la distance prise, le temps de pose si minimal, le choix du noir et blanc et les stratégies relatives à la profondeur de champ s’unissent pour donner à voir ce que notre œil n’aurait pas même réussi à capter. Alors que le photographe n’est pas nécessairement témoin du réel, l’artiste peintre, au contraire, frôle la réalité par sa précision picturale. Si par nature l’instant est aussi volatil que l’obturateur est capable de rapidité, le temps de confection d’une peinture permet parfois d’étendre la durée de la vision dans un désir de permanence.

La série Inadvertances concrétise l’interstice avec lequel l’artiste joue en superposant réel et imaginaire. En effet, Tremblay a imprimé des négatifs de format 35 mm qui ont reçu de la lumière sans qu’il y ait eu « photographie » : ils correspondent à l’extrémité de la pellicule qui précède la première pose et qui prend la lumière au moment d’installer la bobine dans l’appareil photo ouvert. C’est donc par inadvertance que le film a été exposé à la lumière. Cette partie de la pellicule est d’habitude rejetée, mais les traces apparues à l’impression ont intéressé l’artiste, qui en a produit des numérisations en haute résolution devenues de grands tirages papier. Nous croyons y voir un monde aux confins du réel : lueurs nocturnes, paysages imaginaires au crépuscule… Ces visions révèlent l’attention permanente d’un artiste prêt à saisir ce que le hasard lui offre.

Richard-Max-Tremblay_Inadvertance#4_2003
Richard-Max Tremblay
Inadvertance #4, 2003.
Photo : collection de l’artiste

Ce processus de révélation-dissimulation se prolonge dans une quête du réel qui sourd dans des tableaux peints très précisément d’après photographie, tableaux pourtant en partie effacés par diverses interventions (superposition de matières ou de médiums, effacement, opacification, floutage, pose de caches). La compréhension du sujet est souvent controversée au point où celui-ci en devient l’illisibilité. Il en est ainsi pour Fantasmagorie urbaine. L’artiste a traduit en peinture une photographie (appartenant au domaine public) d’édifices de Tokyo se reflétant dans une paroi de verre en imitant la scène comme si elle était composée de diodes de différents formats et couleurs. La luminosité, la perspective et les formes architecturales sont tout à fait lisibles lorsque nous considérons la peinture à une certaine distance. Pourtant, à mesure que nous nous en rapprochons, la scène s’éclipse lentement jusqu’à disparaitre. Ne reste alors plus qu’une abstraction, les points de couleur prenant toute l’attention et devenant sujets. Il y a perte complète du sujet initial.

Richard-Max Tremblay
Fantasmagorie urbaine, huile sur toile, 2013.
Photo : collection de l’artiste
Richard-Max-Tremblay_(Fantasmagorieurbaine_2013
Richard-Max Tremblay
Fantasmagorie urbaine (détail), huile sur toile, 2013.
Photo : collection de l’artiste

Pour Scène (2007) et Quête (2010), des scènes d’intérieur donnent à voir des motifs qui ne sont que prétextes (fils électriques, chaises…), les peintures ne dévoilant que minimalement ce que les rideaux cachent, le dissimulé étant matérialisation du sujet. Plus près de nous, pour Villa La Roche (2015), Vie cachée (2014) et Giardini (2015), les ombres portées de végétaux ont été fixées tout en donnant l’impression d’un jeu de bougé, de tremblement, tel un paysage brouillé deviné à travers une fenêtre embuée. Dans un contraste de formes organiques et géométriques (dont le motif récurrent de la grille) s’entremêlent le cartésien et le sensuel. Cet ensemble de motifs précis et d’autres noyés dans la brume déstabilise notre acuité visuelle telles les œuvres vacillantes d’un Gerhard Richter remettant en question notre habileté à nous saisir du réel. Toutes ces études sur l’effacement du sujet renvoient à l’impersistance même de notre mémoire, de la mémoire de l’artiste. La représentation des ombres dénuées des éléments les provoquant, la figuration de rideaux à peine ouverts sur un indice de sujet en second plan, écrivent cette allusion à l’opacité qui guette la mémoire, tracent la distance qui nous sépare de nos souvenirs, cet écart qui modifie notre appréhension du réel. C’est notre propre vulnérabilité d’observateur ou observatrice qui est ici mise en scène. Elle transpire de ces œuvres qui nous questionnent. Pensons à la série des Boites (huile, 2014) représentant des objets sur le point de tomber, transposant en image un déséquilibre imminent. La précarité de ces installations photographiées et peintes, signe d’une quasi-désobéissance aux lois de la pesanteur, nous renvoie à notre vulnérabilité, à notre propre essence d’instabilité.

Richard-Max Tremblay
Éclipse, vues d’exposition, Galerie d’art Antoine-Sirois de l’Université de Sherbrooke, 2022.
Photos : Richard-Max Tremblay, permission de
l’Université de Sherbrooke
Richard-Max Tremblay
Éclipse, vues d’exposition,
Musée des beaux-arts de Sherbrooke, 2022.
Photos : Richard-Max Tremblay, permission du
Musée des beaux-arts de Sherbrooke

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