Douglas Scholes, Du sublime au sublime : Les errances d’un éboueur sauvage

Sophie Drouin
Sporobole, centre en art actuel, Sherbrooke
Du 7 mai au 14 juillet 2018
Sporobole, centre en art actuel, Sherbrooke
Du 7 mai au 14 juillet 2018
Depuis plusieurs années, Douglas Scholes a fait de l’éboueur sauvage son avatar artistique, un personnage de performance par lequel transitent les questionnements au cœur de sa démarche. Par une série de gestes, d’actions et de déplacements, l’éboueur de Scholes propose d’interroger notre rapport aux déchets dans une perspective sociologique, voire quasi-anthropologique. Ainsi, qu’en est-il de la gestion collective de nos déchets ? De la valeur de nos ordures ? Qu’est-ce que les déchets nous apprennent sur nous-mêmes en tant qu’individu, mais aussi en tant que société ? Sans prétendre répondre à toutes ces questions, l’exposition présentée à Sporobole, véritable synthèse du travail de l’artiste, soulève un ensemble de relations affectives « que nous entretenons avec les objets produits par nos modes de vie contemporains ».

Du déchet…

L’espace de la galerie est occupé par 13 œuvres sur différents supports : au mur, cinq photographies grands formats imprimées jet d’encre, une vidéo monocanale, deux compilations vidéos et un ensemble de 45 images d’objets jetés ; sur un socle, deux livres d’artistes et un trophée à l’entrée ; au sol, des répliques d’ordures en cire d’abeille empilées en tas. Cet empilement, justement, pointe vers une certaine démesure dans l’accumulation de déchets. Intitulée Répliques, l’amas de reproduction d’ordures en cire d’abeille constitue le point focal de l’exposition autour duquel gravitent les autres œuvres, véritables documents témoins de notre gestion des déchets. Ici, la photographie d’une accumulation de palettes désuètes, là, la représentation d’un amoncellement de vieux matelas, tout un ensemble de détritus lancés dans la nature, qui, par leur présence, façonnent de nouveaux paysages.

Outre une certaine beauté intrinsèque au déchet, c’est la beauté sublime de son accumulation dans le paysage qui intéresse l’artiste. Enfouis ou à ciel ouvert, clandestins ou légaux, les dépotoirs de Scholes ont quelque chose de magnifique et de terrible à la fois. L’immensité des sites d’enfouissements et des décharges, amplifiée par la présence de l’artiste dans chaque photographie, silhouette qui donne un aperçu de l’échelle, pointe vers un drame humanitaire : la difficulté de se débarrasser de nos vidanges qui, en s’accumulant sur les bords de routes ou du fleuve, dans les terrains vagues et au pied des montagnes, remplacent petit à petit les éléments des paysages naturels. Ainsi, il est difficile de ne pas voir dans les déchets de Scholes une réflexion sur la société de consommation et ses effets catastrophiques sur l’environnement.

… à la dérive

Pourtant, au-delà de la perspective d’une dénonciation écologique, l’artiste adopte le point de vue de l’observateur. C’est ainsi qu’en retrait des débats moraux, la figure de l’éboueur sauvage s’abstient de juger. Sauvage en ce qu’il est solitaire, l’éboueur de Scholes, glaneur et flâneur, marche à la quête d’objets qu’il ramasse, qu’il accumule, qu’il trie, qu’il immortalise pour, parfois, en abandonner quelques-uns dans l’espace public. Le déplacement et l’errance sont des éléments de l’œuvre à part entière. La mobilité du corps de l’artiste et ses mouvements répétés traduisent ici une forme d’aliénation de l’éboueur, qui s’exprime par des étourdissements et des chutes comme en témoigne la compilation des Spinning video. Avec divers objets dans les mains, Scholes tourne sur lui-même jusqu’à perdre pied. Sentiment d’horreur ou d’impuissance, futilité d’une tâche digne de celle de Sisyphe, les raisons des défaillances corporelles de l’éboueur sont multiples et n’ont d’égales que la grandeur des paysages de déchets.

Si la dérive et les errances permettent à l’éboueur sauvage de représenter, en quelque sorte, les gestes collectifs de tri et de transport des ordures vers des sites d’enfouissement, bref de représenter notre gestion collective des déchets, elles permettent aussi à l’artiste de s’inscrire dans ce que Scholes nomme une « esthétique pragmatique », c’est-à-dire «  une idée de l’art comme expérience  ». Non seulement l’éboueur se déplace sur les monticules de déchets, mais il va à la rencontre des gens et se fond dans l’espace social. Tout au long de sa résidence à Sporobole, Scholes a fait des démarches auprès de la ville pour pouvoir faire son travail et a contacté différents organismes pour leur proposer des collaborations. Au final, ses multiples rencontres lors de ses dérives ont façonné en partie cette esthétique pragmatique en une forme d’art relationnel ; elles consolident aussi l’idée romantique, au cœur de la démarche de l’artiste, de la solitude de l’individu face à la collectivité lorsqu’il est question, entre autres, d’enjeux aussi délicats que les façons dont nous disposons de nos objets obsolètes.

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