Du 13 janvier au 20 février 2016
« L’art est un jeu entre tous les hommes de toutes les époques. »
Marcel Duchamp
En circulation autour du monde depuis plus de 20 ans et en perpétuelle métamorphose, do it est un projet de nature tentaculaire qui se fonde essentiellement sur des instructions à exécuter. do it s’est amorcé en 1993 à l’initiative du commissaire Hans Ulrich Obrist et des artistes Christian Boltanski et Bertrand Lavier. La prémisse à la base de ce projet, inspirée de l’idée duchampienne de règles à suivre, est de créer une instruction que quelqu’un d’autre peut utiliser pour concevoir une œuvre d’art. À l’origine, 12 instructions ont été créées. En 1997, une première collaboration avec le Independent Curators International (ICI) a permis l’ajout de 37 nouvelles instructions. À ce jour, le manuel do it: the compendium en répertorie plus de 250, sélectionnées par Obrist en vue de la parution de cette publication. En quelques années seulement, cette manifestation s’est produite aux États-Unis, en Autriche, Australie, Islande, Thaïlande, Estonie et en Colombie1 1 - Obrist, Hans Ulrich, do it: the compendium, New-York: Independent Curators International (ICI), 2013, p. 10-11..
C’est maintenant à Montréal de se plier aux conditions du jeu comme celle, maitresse, de tout détruire à la fin de l’exposition, car les œuvres qui en émanent se doivent d’être éphémères. La structure de do it est flexible et peut être perçue comme une conversation en continu entre différentes générations, cultures et disciplines. Tout comme une pièce de théâtre ou une partition de musique, les instructions peuvent être réinterprétées à l’infini et chaque itération est unique. Portée par la Galerie de l’UQAM, ce vaste projet a été mené de front par la commissaire Florence-Agathe Dubé-Moreau dans le cadre de l’initiative Premier commissariat. Ancrée au sein d’une université, la galerie a choisi le projet pour sa nature fédératrice, pluridisciplinaire et savante. Le modus operandi de l’exposition montréalaise, en continuité avec les visées originelles des instigateurs du projet, se situe sur le plan de son potentiel réflexif, de son aspect collaboratif et de son implication avec la communauté artistique locale. Ces intentions constituent la substance de cette exposition participative, générative et évolutive qui se déploie également au-delà des frontières de la galerie. L’exposition est l’occasion, comme l’affirme la commissaire, de réfléchir au commissariat et aux nouvelles muséologies, au milieu de l’art contemporain, à la production des savoirs en art ainsi qu’au rôle politique et social de l’artiste2 2 - Valérie Martin, « À ton tour Montréal! » in Actualités Uqam, 12 janvier 2016..
Les instructions, résolument performatives, sont le plus souvent banales. Elles impliquent des objets et des actions de tous les jours et peuvent prendre la forme d’une danse, d’un jeu ou d’une expérience. En plus des 60 instructions sélectionnées dans le registre, 10 instructions inédites ont été conçues par des artistes, chorégraphes, auteurs et dramaturges québécois ; 14 artistes et collectifs ont aussi été invités à interpréter les instructions d’autres artistes. Les invitations lancées permettent la rencontre entre artistes locaux et internationaux. Elles apportent quelque chose d’incertain et d’imprévisible, fait du hasard et de l’interprétation.
Lors du vernissage, le public a pu assister à nombre de performances, dont celle de Christian Lapointe interprétant de manière enflammée l’instruction de Pierre Huyghe qui était de trouver une situation et d’en intensifier la réalité. Sorte d’éloge à la pratique du bodysurfing, à son besoin essentiel de solidarité et de cohésion collective, l’artiste s’est jeté de tout son long dans la masse des corps qui étaient présents. De son côté, Vincent Lafrance incarnait une action de Mario Garcia Torres, soit prendre en filature un jeune artiste contemporain reconnu internationalement. Empruntant à l’autofiction, son œuvre vidéo mélange habilement comédie et drame et rend compte de la surveillance qu’il a menée sur une période de 10 jours de l’artiste Chih-Chien Wang. Son projet se donne à voir, entre autres, comme une étude sur la nature de l’artiste. Les instructions choisies, conçues et confiées nous permettent de réfléchir à la perception traditionnelle de l’exposition, à cet espace et à sa pertinence. L’exposition montre également la nécessité d’explorer et d’actualiser la notion d’original et de droit d’auteur de l’œuvre.
do it est un projet qui évolue dans le temps et dans l’espace, dans la répétition et dans la différence, car chaque lieu et contexte où se joue do it est particulier. La force de ce projet protéiforme et transversal est qu’il s’alimente au fil du temps de nouvelles idées et d’approches émergentes, capturant et ingérant les préoccupations du moment. Depuis sa création, le projet s’est transformé considérablement grâce à l’utilisation d’internet et à la popularité croissante des réseaux sociaux. C’est ainsi que différents modèles de l’exposition do it ont vu le jour comme la version do it (TV)disponible en ligne sur e-flux(4). La notion de dispersion et le potentiel d’une exposition d’art à l’extérieur des frontières et des limites habituelles prennent un nouveau sens dans le contexte de la mondialisation. La culture est de plus en plus interconnectée, occasionnant des répercussions qui se font ressentir sur la pratique artistique et commissariale. La forme collaborative et communautaire inhérente à do it reflète celle des algorithmes, de son système complexe, dynamique et instable.