
Photo : © Victoria and Albert Museum, Londres
Projet audacieux porté par le Victoria & Albert Museum (V&A), Disobedient Objects présente des artéfacts issus de mouvements sociaux divers. La fonction didactique de ce musée dédié aux arts décoratifs dote alors ces objets de la désobéissance non seulement d'un éclairage esthétique, mais aussi d'une portée documentaire. En effet, divisée en quatre sections clairement identifiées (Direct Action, Speaking Out, Making Worlds et Solidarity), Disobedient Objects affirme une intention d'examiner le design et les objets de la contestation. Le rôle du V&A à titre d'institution publique se fait ainsi d'autant plus signifiant. L'institution y réfléchit sa propre autorité et la récupération ou préservation référentielle qui distingue son exercice. Un défi de taille devant une thématique aussi opposante qui exige de s'adapter à la réalité contestataire et parfois singulièrement vivante des objets.
Disobedient Objects ne circonscrit pas une discipline, mais évoque une certaine typologie des objets de la désobéissance en évitant les pièges historicistes ou la hiérarchisation des causes. Ainsi, un service à thé aux couleurs de la Women’s Social and Political Union qui militait pour le droit de vote des femmes au Royaume-Uni au début du XXe siècle côtoie un carré de feutre rouge, symbole des manifestations étudiantes québécoises de 2005 et de 2012, comme exemples variés d’outils de médiation militante. De même, les guides explicites pour la fabrication de masques à gaz ou de boucliers à matraques illustrent au côté du poétique Tiki Love Truck (2007), contre la peine de mort de l’artiste Carrie Reichardt, en collaboration avec le Treatment Rooms Collective, l’étendue du spectre d’actions et d’interventions activistes.
Chaque objet ou action répertorié par Disobedient Objects est contextualisé en regard de sa fonction et de la cause qu’il sert, de sorte que la notion « d’objet activiste » déborde de son histoire de production pour explorer l’hypothèse d’une subjectivité activiste collective. En fait, les objets de la désobéissance sont souvent issus du quotidien, détournés et trafiqués à peu de frais. Cette esthétique de la contestation témoigne d’un design militant commun, informel et expérimental qui trouve malheureusement un écho ennuyeux dans l’ensemble du dispositif muséographique. La mise en scène de l’exposition emprunte matériaux et structure aux barricades de fortune. Cette surenchère clichée du genre « révolutionnaire » alourdit le discours et alloue peu d’espace au spectateur pour l’appréciation sensible de la tension importante entre le sens, l’usage et la valeur esthétique des objets.
La disproportion troublante entre les objets improvisés et la violence qu’ils dénoncent expose le lien dialectique puissant unissant leurs qualités sociale et esthétique à l’oppression. De là, la corrélation évidente entre les propositions plus ludiques et des conditions sociales démocratiques met en lumière l’inventivité de la résistance en contexte de non-droit. Même mis en exergue et dé-fonctionnalisés, les objets de la désobéissance conservent leur potentialité discursive et critique qui se double d’une aura mélancolique. Le poids des promesses brisées, accomplies ou encore à réaliser transcende leur présence et leur cause.
Les objets issus de mouvements sociaux n’ont pas été produits dans la perspective funeste d’une vitrine muséale. Ils agissent ici comme archives, artéfacts ou même reliques d’une dissidence qui tend à être fétichisée par leur exposition. Bien que le V&A offre un site idéal pour repenser le potentiel contestataire de l’espace public, la proposition d’insoumission de Disobedient Objects s’articule en contradiction avec sa concrétisation nécessairement balisée et contenue. Le projet met somme toute en valeur le capital culturel et politique des objets. Cependant, la médiation soutenue des récits, stratégies et discours militants étouffe la liberté d’engagement du spectateur et masque paradoxalement leurs objets.