Olivier ChoinièreChante avec moi, 2012.
Photo : Gilles Renaud, permission du Festival TransAmériques
Festival TransAmériques, Usine C, Montréal
du 25 au 27 mai 2012
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. » Dire que la plupart des créations d’Olivier Choinière s’inscrivent dans le prolongement des thèses de La Société du spectacle (Guy Debord, 1967) tient de l’évidence. Explorant brillamment les notions d’obéissance, d’aliénation, de propagande, de conditionnement et de marchandisation, faisant de notre soif de divertissement un inépuisable objet d’étude plutôt qu’une religion à pratiquer, l’auteur et metteur en scène est en train d’édifier une œuvre d’une rare cohérence, férocement critique, aussi vigoureuse que clairvoyante.

Pour tendre un miroir à ses contemporains, les inciter à contempler leur reflet souvent monstrueux, le directeur artistique de l’Activité n’a pas son pareil. Félicité (2007) s’attaquait à notre fascination morbide pour la vie désespérément banale des gens riches et célèbres. ParadiXXX (2009) s’aventurait sur le territoire extraordinairement révélateur de la pornographie. Élu meilleur spectacle montréalais de la saison 2010-2011 par l’Association québécoise des critiques de théâtre, Chante avec moi, créé à l’Espace libre, repris au Théâtre français du CNA puis à l’Usine C lors du plus récent FTA, est une implacable illustration des ravages de la spectacularisation. Avec ses 50 comédiens-chanteurs, son caractère répétitif et sa scénographie en constante expansion, la représentation s’approche avec une adresse admirable de l’absurde et de la grandiloquence du phénomène qu’elle dépeint.

« Je chante, oui je chante, pour que tu chantes, avec moi. » Une seule chanson reprise en boucle, voilà la trame du spectacle. Sur scène, un groupe hétéroclite, quelque chose comme un microcosme. Son chant semble tout d’abord traduire une communion, exprimer les aspirations d’une collectivité. Peu à peu, la ritournelle se fait cri de ralliement, hymne vengeur porté par une chorale outrageusement enjouée. Les costumes sont toujours plus flamboyants, les éclairages plus colorés, les grimaces plus grotesques, les chorégraphies plus amples, les stéréotypes plus nombreux. Impossible de ne pas taper du pied, de ne pas claquer des doigts ou même de songer à parer l’infiltration de ce ver d’oreille. Impossible en somme de ne pas être possédé, dominé, hypnotisé, fait marionnette. On se découvre alors, non sans stupéfaction, partie prenante de cette fascination que la représentation inspire en même temps qu’elle la dénonce.

Parce que même si certains spectateurs, emportés par les flonflons de la fête, seront passés à côté, c’est cette dualité, ce paradoxe, cette friction entre le média et le message qui fait tout l’intérêt de Chante avec moi. Affronter la société du spectacle sur son propre terrain, avec ses propres armes, en adoptant sa rhétorique et ses procédés, voilà qui est loin d’être bête. Le faire avec autant de détermination et sans donner un seul instant dans le prêchi-prêcha, c’est carrément admirable.

Christian Saint-Pierre, Olivier Choinière
Cet article parait également dans le numéro 76 - L’idée de la peinture
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