Laura-Magnusson_Blue
Laura MagnussonBlue, capture vidéo, 2019.
Photo : Liquid Motion Film, permission de l'artiste

Blue de Laura Magnusson : une archive somatique de la douleur

Joëlle Dubé
Du bleu partout. L’artiste montréalaise Laura Magnusson erre – rampe, s’agenouille, s’allonge, marche – dans l’eau claire du fond de l’océan. Vêtue d’un parka et de bottes d’hiver, elle se promène sur le sable quelque 20 mètres sous la surface près de Cozumel, au Mexique, en transportant une bouteille d’oxygène. On la voit ensuite dans les eaux sombres et troubles, entourée de poissons argentés miroitants. Même si elle n’est pas seule, encerclée comme elle l’est par ces altérités aquatiques, ses expressions faciales et son langage corporel semblent traduire la détresse et la douleur.

La spécialiste en littérature Elaine Scarry évoque la nature (parfois) inexprimable de la douleur : « Quand on entend parler de la douleur physique de l’autre, ce qui se déroule à l’intérieur du corps de cette personne peut sembler avoir le caractère distant d’un fait souterrain profond appartenant à une géographie invisible qui, bien qu’inquiétante, n’est par réelle, car elle ne s’est pas encore manifestée à la surface visible de la Terre1 1 - Elaine Scarry, The Body in Pain: The Making and Unmaking of the World, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 3. [Trad. libre]. » Blue (2019), une œuvre de 14 minutes composée d’images en mouvement, nous invite à plonger en profondeur dans la douleur complexe et multifacette qui résulte de la violence sexuelle2 2 - Laura Magnusson, <lauramagnusson.com>.. Souterraine au plus haut point, une telle douleur persiste dans le corps tout comme dans l’esprit. L’œuvre, née d’un désir d’exprimer ce que Magnusson n’était pas autorisée à raconter au tribunal, se révèle un témoignage incarné de l’expérience traumatisante qu’elle a vécue. En faisant de son corps une archive somatique et en le positionnant dans un environnement aquatique, Magnusson présente une reconfiguration spatiotemporelle du traumatisme sexuel et de la douleur persistante à partir de laquelle elle élabore un langage pour ce qui ne peut être exprimé autrement.

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Cet article parait également dans le numéro 106 - Douleur
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