Parker Bright Confronting My Own Possible Death, 2018.
Photo : permission de l’artiste | courtesy of the artist

Appropriation artistique versus appropriation culturelle

Jean-Philippe Uzel
Et si l’appropriation artistique (ou « art d’appropriation ») telle qu’on l’entend dans le champ des arts visuels depuis les années 1980 nous permettait de poser la question de l’appropriation culturelle sous un nouvel angle ? Les artistes dont les oeuvres entrent dans l’une ou l’autre de ces catégories ont en effet en commun l’acte de s’approprier quelque chose qui ne leur appartient pas, même si cet acte est accompli de part et d’autre avec une intention et des motivations très différentes. Il ne s’agit pas d’affirmer que les artistes visuels qui ont été accusés ces dernières années d’appropriation culturelle (Sam Durant pour Scaffold et Dana Schutz pour Open Casket en 2017, ou encore Dominic Gagnon pour of the North en 2016) sont des artistes appropriationnistes au même titre que Jeff Koons, Sherrie Levine ou Richard Prince. Néanmoins, il semble intéressant d’interroger en miroir ces deux démarches, non pas pour leur trouver d’éventuelles similarités, mais bien pour mettre en évidence ce qui les différencie radicalement, y compris lorsque les artistes appropriationnistes s’aventurent sur le terrain culturel, à l’instar de Richard Prince ou David Krippendorff.

Tout art n’est pas « d’appropriation »

Un constat s’impose à la vue des polémiques qui ont secoué ces dernières années le monde des arts visuels, mais aussi celui de la littérature et du théâtre. Le premier réflexe d’un artiste accusé d’appropriation culturelle est de mener une charge contre la notion même d’« appropriation culturelle », pour tenter de montrer qu’il s’agit d’un concept creux, vide et non pertinent. Le débat se trouve ainsi phagocyté et la dénonciation s’estompe derrière un écran de fumée. Il semble donc important de rappeler, dans un premier temps, à quoi renvoie ce concept. L’appropriation culturelle a été théorisée pour la première fois en 1976 par Kenneth Coutts-Smith, professeur à l’Université de Toronto et grand défenseur de la cause des Inuits. Dans un texte fondateur1 1 - Kenneth Coutts-Smith, « Some General Observations on the Problem of Cultural Colonialism », communication présentée au congrès de l’Association internationale des critiques d’art en septembre 1976, <bit.ly/2wrjSTi, il croise la notion marxiste d’« appropriation de classe » et le concept de « colonialisme culturel » afin de mettre en évidence la façon dont la culture occidentale s’approprie des formes culturelles issues de cultures opprimées ou colonisées. Aujourd’hui, cette notion, qui a été travaillée et approfondie par de nombreux auteurs, renvoie toujours à la manière dont les éléments et les signes d’une culture dominée sont décontextualisés, déformés ou simplifiés. Autrement dit, la relation de pouvoir dominant-dominé est essentielle à la définition de l’appropriation culturelle, même si le pouvoir en place cherche constamment à la nier. Ajoutons que la violence du dominant sur le dominé est loin de se cantonner au domaine artistique ou culturel. Si la polémique entourant le tableau de Dana Schutz a été si vive au moment de sa présentation à la biennale du Whitney Museum of American Art, en 2017, c’est parce qu’elle a eu lieu quelques mois après l’élection de Donald Trump, dans le contexte d’une violence policière accrue à l’endroit des afrodescendants. Si la polémique autour du spectacle de Robert Lepage, Kanata, a eu autant de retentissement pendant l’été 2018, c’est qu’elle a éclaté en pleine enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

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Cet article parait également dans le numéro 97 - Appropriation
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