
Photo : Laura Findlay, permission de l'artiste
Hyperintime : une coexistence résistante durant l’Anthropocène
Le plastique est un des exemples d’hyperobjet les plus saisissants : son accumulation perpétuelle dans la biosphère, parallèlement à sa résistance à la métabolisation, représente sa nature tentaculaire et envahissante. Ayant le potentiel d’entrer dans le registre fossile1 1 - Patricia L. Corocan, Charles J. Moore et Kelly Jazvac, « An Anthropogenic Marker Horizon in the Future Rock Record », GSA Today, vol. 24, no 6 (juin 2014), p. 4., le plastique constitue une présence universelle qui sature la planète : il domine les sites d’enfouissement, se retrouve au fond des océans et s’infiltre dans nos cellules sous la forme minuscule de nanoplastiques. Cet état incessant de sursaturation révèle l’échec de la mentalité de la rédemption, qui suppose que l’intervention humaine – grâce au recyclage, à la réduction et à la réutilisation – peut résoudre le problème tout en ignorant les importants paramètres de la contamination par le plastique, qui dépassent notre capacité à l’atténuer ou à la contenir. Comme le souligne la philosophe Heather Davis, de tels stratagèmes ne suffisent pas à s’attaquer à « l’accumulation sans métabolisation2 2 - Heather Davis, « Plastic: Accumulation without Metabolism », dans Dehlia Hannah et Sara Krajewski (dir.), Placing the Golden Spike: Landscapes of the Anthropocene, Milwaukee, INOVA, 2015, p. 71. [Trad. libre] » du plastique ; par conséquent, le problème demeure entier. Nous nous retrouvons continuellement imbriqué·es dans divers hyperobjets qui façonnent et dépassent les paramètres de notre contrôle en raison de leurs effets cumulatifs qui se répercutent à travers les générations, sans égard aux frontières géographiques. Comme l’explique Morton dans le livre Dark Ecology: For a Logic of Future Coexistence, l’Anthropocène exige donc de repenser notre coexistence, car la distinction entre humain et non-humain continue à disparaitre3 3 - Timothy Morton, Dark Ecology: For a Logic of Future Coexistence, New York, Columbia University Press, 2016, p. 69. Voir également Derrick Harris, « Timothy Morton. Dark Ecology: For a Logic of Future Coexistence », compte rendu, Environmental Philosophy, vol. 13, no 2 (automne 2016), p. 304.. Puisque ces catégories conceptuelles deviennent de plus en plus difficiles à discerner, Morton affirme que l’art aussi doit être repensé dans une optique d’entrelacement. Iel déclare que « l’art aujourd’hui ne peut être qu’une collaboration précaire entre les êtres humains et le non-humain, et non l’exploration purement humaine de l’accès au non-humain ou de l’absence d’un tel accès4 4 - Timothy Morton, « Poisoned Ground: Art and Philosophy in the Time of Hyperobjects », symplokē, vol. 21, nos 1-2 (2013), p. 50. [Trad. libre] » et souligne que l’art contemporain doit tenir compte de ce qui n’est pas humain, non pas en tant que domaine distant ou inaccessible, mais en tant que force coconstituante qui reflète les interrelations complexes et souvent fragiles qui configurent l’Anthropocène.