Ben McNutt Untitled Still (Pankratiast), 2012.
Photo : permission de | courtesy of the artist with Gio and Cass

Pas de repos pour les braves

Tak Pham
Le 28 aout 1982, à San Francisco, la superstar du rock Tina Turner offrait le spectacle d’ouverture des tout premiers Jeux gais internationaux. À ce jour, 10 de ces rencontres sportives quadriennales ont eu lieu dans le monde, et la prochaine est prévue pour 2022, à Hong Kong. La mission originale des Jeux gais était de promouvoir la diversité sexuelle et l’inclusion, et de mettre en valeur les athlètes qui appartiennent à la communauté LGBTQ2+. S’il est certain que l’ampleur croissante de l’évènement au fil des ans témoigne d’une plus grande acceptation de la communauté LGBTQ2+ dans le monde, les Jeux gais ont quand même bien du chemin à parcourir pour atteindre la popularité d’autres rencontres sportives internationales. En 2018, par exemple, les Jeux gais accueillaient 91 pays participants, alors que les Jeux olympiques d’été, en 2016, en avaient accueilli 207. Ces chiffres montrent bien le contraste entre le degré d’acceptation des athlètes hétérosexuel·le·s et des athlètes LGBTQ2+. Du point de vue sociopolitique, les Jeux gais donnent à voir la frontière problématique, fragile et fluide qui sépare l’athlétisme et l’expression sexuelle – entrelacement du dehors et du dedans, de l’expression et de l’intimité qui intrigue bien des artistes queers, notamment Hazel Meyer, Ben McNutt et Derrick Woods-Morrow. Leur approche multi­disciplinaire donne lieu à des observations et à des perspectives queers nuancées qui révèlent à la fois les conflits internes du sport et la manière dont l’athlétisme est genré, sexualisé et régulé au sein de la société hétéronormative dominante.

L’artiste vancouvéroise Hazel Meyer place les sports d’équipe au centre de ses projets d’installation et de performance. Muscle Panic, remarquable série en cours depuis 2014, est en partie une installation constituée d’objets et d’équipements sportifs modifiés, en partie un entrainement de groupe. Depuis sa première mouture, le projet a été repris en de nombreux endroits : grange abandonnée (Muscle Panic, 2014), ancien garage devenu galerie (Muscle Panic: garage, 2015), étroit couloir d’un vestiaire (Muscle Panic, 2015), galerie des grands maitres hollandais du Musée des beaux-arts de ­l’Ontario (Muscle Panic: Dutch Masters House, 2017). À chaque reprise, Meyers embauche sur place les performeuses et performeurs, qui sont « des artistes, des athlètes et des activistes femmes, trans ou non binaires1 1 - Josh Inocéncio, « Muscle Panic: Interdisciplinary Artist Fuses Sports, Queerness at Art League Houston », Spectrum South, 23 février 2018, accessible en ligne. [Trad. libre] ». Elle les invite à participer à un programme d’entrainement en équipe (parties de minibasketball, échauffements, courses…) qui se déroule dans l’installation même ou autour du lieu d’exposition. Après la performance, Meyer ramasse les vêtements et l’équipement trempés de la sueur des artistes et les intègre aux versions subséquentes du projet, souvent en les empilant – monticule lourdement chargé de significations corporelles. Ainsi enrobées, par couches, de symbolisme, les installations de Meyer substituent aux corps queers les appareils, les équipements et les constructions qu’elle adapte et retravaille. Ses échafaudages viennent étayer l’architecture des lieux, intervenant littéralement dans la structure de codes et de règles dont ces édifices sont des manifestations. En effet, si les architectes modernistes essayaient de créer des lieux capables d’améliorer les conditions de vie et de favoriser le bienêtre de la société, l’architecture en général, après s’être approprié cette responsabilité, a eu tendance à renforcer par sa pratique les conventions sociopolitiques plutôt qu’à les remettre en question. La réitération de Muscle Panic en des lieux de formes et de fonctions variées met en évidence les ressemblances entre l’architecture et le spectacle du sport organisé.

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Cet article parait également dans le numéro 103 - Sportification
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